Amicale d'Auschwitz
    Association des professeurs d'histoire et de géographie (APHG)



CERCLE d'ETUDE
de la DEPORTATION et de la SHOAH

Historiens et Géographes, no 273, mai - juin 1979
revue de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie de l’Enseignement Public (APHG)
Informations générales, p 591-635

LA PERSECUTION NAZIE ET L’ATTITUDE DE VICHY

par François Delpech,
Professeur au Centre Régional d’Histoire religieuse, Université de Lyon II

V - DOCUMENTS ANNEXES

Bien que les nazis aient volontairement détruit une bonne partie de leurs archives. les sources relatives A la persécution hitlérienne sont nombreuses et de bonne qualité. Beaucoup ont été éditées, mais dans des publications malheureusement très dispersées, qu’il est parfois difficile de se procurer quand on ne dispose pas d’une bibliothèque spécialisée à proximité. Aussi a-t-il paru utile de compléter cet article avec quelques textes susceptibles d’être utilisés en classe. Faute de place, j’ai dû faire un choix - contestable, comme tous les choix on ne trouvera ici qu’un petit nombre de documents d’origine nazie ou proche des nazis, plus un témoignage de première main sur la déportation des enfants livrés par le gouvernement de Vichy. Au dernier moment, l’ai encore ajouté les thèses du récent Colloque d’Orléans sur l’enseignement des crimes nazis. D’autres textes, "autres réflexions pourront être publiés dans un prochain numéro d’Historiens-Géographes. N’hésitez pas à nous envoyer les vôtres.

1 - Les obsessions d’Hitler : extraits de "Mein Kampf "

Les deux tomes de Mein Kampf ont été publiés respectivement en 1925 et 1929. Le premier a été dicté par Hitler à ses collaborateurs et revu par eux en 1924, pendant son séjour en prison après l’échec du putsch avorté de 1923. C’est une présentation sommaire, confuse et décousue de se politique. Le second, plus ambitieux, a été rédigé après sa libération, en 1925. Il se présente comme un exposé des bases scientifiques " et " philosophiques - de la " doctrine " nazie. Malgré ou à cause de cette prétention, il est presque aussi sommaire, tout aussi confus et encore plus décousu que le précédent. Les deux passages reproduits ci-dessous sont extraits de ce second volume, chapitres I et XIII (édition Gaudefroy-Demombynes, Nouvelles éditions latines, s.d., p. 379 et 620).

Comme la plupart des textes d’Hitler, ces deux passages théoriquement consacrés à la définition de l’État et à la politique étrangère sont en réalité de pures imprécations contre les Juifs, les bolcheviks, le monde bourgeois et la France négrifiée. Il ne manque que les Slaves! On notera la confusion entretenue entre tous ces adversaires, le mythe du complot juif mondial, le mode de raisonnement par affirmations abruptes, l’absurdité de ces affirmations et la violence du propos.

La paranoïa est ici évidente, mais elle n’explique pas tout. Pour comprendre cette violence et le succès du nazisme après la grande crise de 1929, il faut naturellement tenir compte de bien d’autres causes structurelles et conjoncturelles : le lourd passé allemand, le nationalisme, l’antisémitisme et le racisme exaspérés par l’humiliation de la défaite et par les maladresses des Alliés, l’absence de tradition démocratique et le caractère dévastateur des crises successives. Le destin de l'Allemagne été scellé le jour où la petite bourgeoisie, des millions de chômeurs désorientés et une bonne partie des militaires et de la grande bourgeoisie ont reconnu leurs obsessions et ont cru trouver le salut dans les imprécations simplificatrices de ce paranoïaque.

La conception raciste de l’État (t. Il, ch. 1)

" La conception philosophique courante aujourd'hui consiste généralement, au point de vue politique, à attribuer à l’État lui-même une force créatrice et civilisatrice. Mais il n’y aurait que faire des conditions préalables de race; l’État résulterait plutôt des nécessités économiques ou, dans le meilleur cas, du jeu des forces politiques. Cette conception fondamentale conduit logiquement à une méconnaissance des forces primitives liées à la race, et à sous-estimer la valeur de l’individu. Celui qui nie la différence entre les races, en ce qui concerne leur aptitude à engendrer des civilisations, est forcé de se tromper aussi quand il juge les individus. Accepter l’égalité des races entraîne à juger pareillement les peuples et les hommes. Le marxisme international n’est lui-même que la transformation, par le Juif Karl Marx, en une doctrine politique précise d’une conception philosophique générale déjà existante. Sans cet empoisonnement préalable, le succès politique extraordinaire de cette doctrine n’eût pas été possible. Karl Marx fut simplement le seul, dans le marécage d’un monde pourri, à reconnaître avec la sûreté de coup d’oeil d’un prophète les matières les plus spécifiquement toxiques; il s’en empara, et, comme un adepte de la magie noire, les employa à dose massive pour anéantir l’existence indépendante des libres nations de ce monde. Tout ceci d’ailleurs au profit de sa race.

Ainsi la doctrine marxiste est, en résumé, l’essence même du système philosophique aujourd’hui généralement admis. Pour ce motif déjà, toute lutte contre lui de ce que l’on appelle le monde bourgeois est impossible, et môme ridicule, car ce monde bourgeois est essentiellement imprégné de ces poisons et rend hommage à une conception philosophique qui, d’une façon générale, ne se distingue de la conception marxiste que par des nuances au des questions de personnes. Le monde bourgeois est marxiste, mais croit possible la domination de groupes déterminés d’hommes (le bourgeoisie), cependant que le marxisme lui-même vise délibérément à remettre ce monde dans la main des Juifs.

Au contraire, la conception " raciste " (1) fait place à la valeur des diverses races primitives de l’humanité. En principe, elle ne voit dans l’État qu’un but qui est le maintien de l’existence des races humaines. Elle ne croit nullement à leur égalité, mais reconnaît au contraire et leur diversité et leur valeur plus ou mains élevée. Cette connaissance lui confère l'obligation, suivant la volonté éternelle qui gouverne ce monde, de favoriser la victoire du meilleur et du plus fort, d’exiger le subordination des mauvais et des faibles. Elle rend ainsi hommage au principe aristocratique de la nature et croit en la valeur de cette loi jusqu’au dernier degré de l’échelle des êtres. Elle voit non seulement la différence de valeur des races, mais aussi la diversité de valeur des individus. De la masse se dévoile pour elle la valeur de la personne, et par cela elle agit comme une puissance organisatrice en présence du marxisme destructeur. Elle croit nécessaire de donner un idéal à l’humanité, car cela lui parait constituer la condition première pour l'existence de cette humanité. Mais elle ne peut reconnaître le droit d’existence à une éthique quelconque, quand celle-ci présente un danger pour la survie de la race qui défend une éthique plus haute; car, dans un monde métissé et envahi par la descendance de nègres, toutes les conceptions humaines de beauté et de noblesse, de même que toutes les espérances en un avenir idéal de notre humanité, seraient perdues à jamais.

La culture et la civilisation humaines sont sur ce continent indissolublement liées à l’existence de l’Aryen. Sa disparition ou son amoindrissement feraient descendre sur cette terre les voiles sombres d’une époque de barbarie. "

(1) Nous traduisons ici, et traduisons désormais, en principe, völkisch par raciste.

" Le complot juif mondial " et " la France négrifiée " (t. Il, ch. XIII )

" Le raisonnement que tiennent les Juifs est évident. La bolchévisation de l’Allemagne, c’est-à-dire la destruction radicale de la conscience nationale populaire allemande rendant possible l’exploitation de la force productrice allemande soumise au joug de la finance juive internationale, n’est que le prélude de l’extension toujours plus grande que prendra la conquête du monde entier rêvée par les Juifs. Ainsi que le cas s’est si souvent produit dans l’histoire, l’Allemagne doit être le pivot sur lequel portera cette lutte gigantesque. Si notre peuple et notre État sont les victimes de ces tyrans des peuples que sont les Juifs altérés de sang et avides d’argent, toute la terre sera prise dans les tentacules de ces hydres; mais si l’Allemagne échappe à leur enlacement, on pourra considérer que le plus grand danger qu’aient jamais couru tous les peuples ne menace plus le monde entier.

S’il est sûr que la juiverie a mis en œuvre toutes ses menées souterraines non seulement pour entretenir l’hostilité que les nations témoignent à l’Allemagne, mais aussi pour l’exacerber autant que possible, il est non moins sûr que cette activité ne concorde que très partiellement avec les vrais intérêts des peuples qu’elle empoisonne. En général, la juiverie n’emploie auprès de chacun des peuples visés par sa propagande que les arguments propres à avoir le plus d’effet sur l’esprit de la nation travaillée par ses émissaires et dont elle connaît parfaitement les façons de voir, ceux dont elle peut se promettre le plus de succès. Auprès de notre peuple dont le sang est extraordinairement adultéré, la juiverie se sert, pour mener le combat dont elle attend la puissance, des idées plus ou moins " cosmopolites ", inspirées par l’idéologie pacifiste et qui sont nées dans son cerveau, bref elle se réclame des tendances internationales; en France, elle tire parti du chauvinisme dont elle a reconnu l’existence et dont elle sait apprécier très exactement la puissance; en Angleterre, elle met en jeu les intérêts économiques et les considérations de politique mondiale; bref, elle tire toujours profit de ce qui caractérise essentiellement la tournure d’esprit d’un peuple donné. C’est seulement lorsqu’elle a, par ces divers moyens, conquis une influence décisive sur l'économie et sur la politique qu’elle se libère des liens qu’imposaient à se propagande ces arguments fictifs et qu’elle dévoile en partie ses buts cachés, ce qu’elle veut et ce pourquoi elle combat. Elle n’on procède qu’avec plus de rapidité à son œuvre de destruction, jusqu’à ce qu’elle ait transformé successivement tous les États en un champ de ruines sur lequel doit régner l’autorité souveraine de l’empire juif éternel.

En Angleterre comme en Italie, le désaccord existant entre les conceptions d’une politique excellente enracinée dans le sol et les projets des financiers juifs internationaux est évident, et saute parfois brutalement aux yeux.

C’est uniquement en France que l’on remarque aujourd’hui un accord secret, plus parfait qu’il n’a jamais été, entre les intentions des boursiers, intentions dont les Juifs sont les représentants, et les vœux d’une politique nationale inspirée par le chauvinisme. Et c’est précisément cette identité de vues qui constitue un immense danger pour l’Allemagne. C’est pour cette raison que la France est, et reste, l’ennemi que nous avons le plus à craindre. Ce peuple, qui tombe de plus en plus au niveau des nègres, met sourdement en danger, par appui qu’il prête aux Juifs pour atteindre leur but de domination universelle, l’existence de la race blanche en Europe. Car la contamination provoquée par l’afflux de sang nègre sur le Rhin, au coeur de l’Europe, répond aussi bien à la soif de vengeance sadique et perverse de cet ennemi héréditaire de notre peuple qu’au froid calcul du Juif, qui y voit le moyen de commencer le métissage du continent européen en son centre et, en infectant la race blanche avec le sang d’une basse humanité, de poser les fondations de sa propre domination.

Le rôle que la France, aiguillonnée par sa soif de vengeance et systématiquement guidée par les Juifs, joue aujourd’hui en Europe, est un péché contre l’existence de l’humanité blanche et déchaînera un jour contre ce peuple tous les esprits vengeurs d’une génération qui aura reconnu dans la pollution des races le péché héréditaire de l’humanité
 
 

2. - L’antisémitisme à la française : Darquier de Pellepoix

Louis Darquier, dit de Pellepoix, est né à Cahors en 1897. Employé, puis directeur de sociétés commerciales, il s’est fait connaître très tôt par son antisémitisme virulent. Elu conseiller municipal de Paris sur un programme " national anti-juif", il fonde peu après le Rassemblement anti-juif de France. Ses attaques contre les Juifs valent celles d'Hitler. Elles sont même plus précises. Il déclare en 1937 dans un discours à la salle Wagram " Il faut de toute urgence résoudre la question juive, que les Juifs soient expulsés ou qu’ils soient massacrés! " Propos de bateleur? Voire.. (archives du ODJO, 66600 N. 33, p. 13, cité par J. Laloum, La propagande antisémite en France dans les années 1940, 1975, p. 22).

On notera dans le second texte la référence aux prétendus Protocoles des Sages de Sion. Ce faux célèbre, fabriqué par la police tsariste au début de ce siècle pour discréditer l’opposition et justifier les pogroms antisémites, a été largement diffusé dans le monde entier entre les deux guerres, notamment par Ford aux États-unis et par l’Action Française et la droite catholique intégriste en France. Il prétend reproduire les procès-verbaux des délibérations des dirigeants de la conspiration juive mondiale. Il est encore largement répandu aujourd’hui dans de nombreux pays. (Sur ce point, on lira avec profit l’excellente monographie de N. Colin, Histoire d’un mythe, la conspiration juive et les Protocoles des Sages de Sion, 1967).

- " Nos buts " (Manifeste du Rassemblement anti-juif de France, s.d )

" Rendre la FRANCE AUX FRANÇAIS par une lutte implacable contre la coalition des internationales Juive, Maçonnique et Marxiste.

Apprendre aux Français que tous les Juifs sont (de leur propre aveu) membres d’une nation étrangère.

Obtenir qu’ils soient privés des droits afférents à la nationalité française et ne puissent plus, en conséquence, être électeurs, éligibles, fonctionnaires, soldats, etc.

Expulsion de tous les Juifs ayant figuré dans les innombrables scandales politiques et financiers depuis l’armistice, ayant subi une condamnation, ou ayant fait faillite.

Expulsion immédiate de tous les étrangers, Juifs et autres, mêlés à la lutte politique, ouvertement ou clandestinement.

Expulsion de tous les Juifs susceptibles de contaminer la santé morale ou physique de la nation.

Limitation du nombre des Juifs dans les professions libérales ou autres.

Interdiction pour les Juifs de contrôler des Organisations susceptibles d’influencer ou de corrompre l’opinion publique (presse, cinéma, théâtre, radio. etc.).

Dissolution de toutes les associations juives: Alliance israélite, Loges des B'Nai B'rith etc... Dissolution de la Franc-Maçonnerie et des organisations qui en dépendent: Ligue des Droits de l’homme, Fraternelles, etc.

Confiscation des biens de la " Congrégation Juive " au profit de la communauté française, ruinée, par la politique judéo-maçonnique.

Révision de la loi sur les Sociétés anonymes pour éviter l’emprise des capitaux juifs sur l'Economie nationale.

Augmentation substantielle des tarifs d’impôts pour les Juifs autorisés à vivre sur notre Territoire ".

L.DARQUIER de PELLEPOIX
Président du Rassemblement Anti-Juif.

- La guerre, œuvre juive " (éditorial de l'Antijuif, édition spéciale de propagande, juillet-août 1937)

LES JUIFS VEULENT LA G UERRE

Et ils veulent la guerre mondiale! Depuis un an tout est mis en oeuvre pour la déclencher. il faut être fou ou aveugle pour ne pas le comprendre.

La Maçonnerie Internationale alerte toutes les loges de l’univers, et déclare la guerre à toutes les " dictatures ", c’est-à-dire à tous les régimes nationaux qui ont maté les Juifs et fermé les loges: l’Allemagne, l’Italie, le Portugal, la Hongrie, la Turquie.

Le Marxisme destructeur, incarné dans le gouvernement des Soviets et l’internationale rouge de Moscou, poursuit son plan de Révolution Universelle, strictement apparenté au rêve messianique des Juifs.

La Juiverie internationale, chassée des postes de commande en Allemagne, cherche à étrangler Hitler par une guerre financière sans merci, et déclenche contre lui, dans le monde entier, une formidable campagne de propagande (Presse, Cinéma, Radio, etc.).

La lutte est aussi ouverte contre la Pologne, la Roumanie, la Hongrie et l’Espagne nationale, pour sauver les Juifs de la réaction des populations autochtones, ruinées et bafouées, qui partout cherchent à se libérer de l’ignoble domination juive.

Rappelons ici une phrase des " Protocoles des Sages de Sion ", publiés en 1906, et que tous les Français devraient avoir lus

" Nous (les Juifs), sommes prêts à répondre du tac au tac à toute opposition qui surgirait contre nous dans un pays quelconque en faisant éclater une guerre entre lui et ses voisins, et si plusieurs pays projetaient de s’allier contre nous, nous déchaînerions une guerre mondiale. et nous les pousserions imperceptiblement à y prendre part n.

La position de la France est tragique.

L’Angleterre qui n’a pas pardonné à Mussolini l’humiliation éthiopienne et la reculade de la a Grande Flotte ", s'efforce suivant une tradition ancienne de fomenter une coalition capable de tirer nos marrons du feu, pour la plus grande gloire de l’Empire britannique.

La coalition des trois grandes Démocraties (lisez des nations enjuivées), n’a qu’un soldat, le soldat français. Le régime soviétique est en pleine décomposition, comme l’a clairement démontré la dernière fusillade des maréchaux. L'Espagne rouge recule tous les jours devant les Nationaux vainqueurs. La puissance britannique est en déclin.

A l’intérieur, la situation de la France est catastrophique. Les Juifs ont réussi à diviser le pays en deux camps, prêts à s’affronter Le gouvernement du Juif Léon BIum et de ses cinquante acolytes juifs a vidé les caisses de l’État et ruiné les particuliers. L’économie nationale succombe sous le poids de " l’expérience " du Front Juif dit Front Populaire.

Maintenant, pour masquer leurs honteuses rapines, pour détourner la colère du peuple, Juifs et Francs-Maçons redoutant l’heure de la justice, s’apprêtent à Jeter la France dans la fournaise.

NOUS NE LE PERMETTRONS PAS !

Déjà, Charles Maurras, par une intervention énergique, a sauvé la Paix.

A nous de le suivre dans cette voie.

Nous ne voulons pas être les soldats des Juifs et des Anglais.

Nous ne voulons pas que notre Pays soit détruit pour assurer la domination mondiale de la race juive et des banquiers juifs.

Si, par malheur, la guerre éclate, nous saurons où trouver les responsables et nous les châtierons sans pitié.

L'UNION NATIONALE SERA ANTI-JUIVE OU ELLE NE SERA PAS.

FRANÇAIS DE TOUTES OPINIONS ET DE TOUTES CONDITIONS, FRANÇAIS DE DROITE ET FRANÇAIS DE GAUCHE, FRANÇAIS PAYSANS, FRANQAIS OUVRIERS, FRANÇAIS BOURGEOIS, NOTRE ENNEMI N0 1, C’EST LE JUIF.

ADHÉREZ TOUS AURASSEMBLEMENT ANTI-JUIF.
L.D.P.
 

3. - Les aveux d’Himmler

Avec le journal de Goebbels, les discours d’Himmler sont un des meilleurs témoignages que nous possédions sur l’état d’esprit des dirigeants nazis. Soigneusement recueillis par ses secrétaires, ils ont été retrouvés par les Américains en 1945. L’essentiel a été publié à Francfort en 1974, puis traduit en français en 1978 (H. Himmler, Discours secrets, 1978, p. 159-169et203-210).

Dans ces discours prononcés devant des auditoires restreints et tenus au secret le plus absolu, Himmler s’exprime sans tard sur le système concentrationnaire et sur l’extermination des Juifs. Notons cependant que les indications qu’il donne sur le nombre de détenus dans les camps de concentration sont inférieurs à la réalité. Habitude de la dissimulation? Par contre, son esprit borné, son fanatisme méticuleux, son insensibilité, sa froide cruauté, transparaissent à chaque ligne. Ce sont ces Qualités qui lui ont valu d’être désigné pour mener à bien la plus grande entreprise criminelle de l’histoire.

- Les camps de concentration (discours prononcé devant des généraux à Sonthofen, le 21 juin 1944)

" Il faut bien évidemment faire très attention, car un camp de 40 à 50000 hommes conduits par quelqu’un de décidé pourrait être dangereux. Mais ce n’est pas le cas. Car, voyez-vous, ces 40 000 criminels allemands, politiques ou professionnels - je vous demande de ne pas rire constituent mon " corps de sous-officiers " pour toute cette société. (Rires). Nous avons mis en place une section, créée par le général Eicke, les Kapos organisation destinée à tenir en main le sous-homme. Le plus vieux détenu, par exemple, devient surveillant responsable de 30, 40 ou 100 autres détenus. A partir du moment où il devient Kapo, il ne dort plus avec les autres. Il est responsable du rendement, des éventuels sabotages, de la façon dont sont faits les lits. En votre qualité de soldats, vous prendriez plaisir à voir ce peuple, dont la majorité ne parle pas un mot d’allemand. Une recrue, dans une caserne, ne peut pas faire mieux. Le Kapo en est responsable. Il doit stimuler ses hommes. Et dès que nous ne sommes plus satisfaits de lui, il cesse d’être Kapo et retourne coucher avec les autres. Il y sera battu à mort dès la première nuit, ça, il le sait bien. Le Kapo jouit de certaines faveurs particulières. Ce n’est certes pas un système d’assistance publique que l’ai imaginé là, je le dis avec la plus grande franchise: je dois écarter de notre chemin les sous-hommes et mettre tout en oeuvre pour le travail et la victoire ".

- " L’épouillage " (discours prononcé devant des officiers SS le 24avril 1943)

‘Nous avons entamé notre action par le problème du sang; mais par " problème du sang - nous n’entendons évidemment pas " antisémitisme." Il en va de l’antisémitisme comme de l’épouillage. Détruire les poux ne relève pas d’une question de conception du monde. C’est une question de propreté. De la même manière exactement, l’antisémitisme n’a pas été pour nous une question de conception du monde, mais une question de propreté qui sera bientôt réglée. Nous n’aurons bientôt plus de poux. Nous n’avons plus que 20000 poux, et après toute l’Allemagne en sera débarrassée ".

- " Une page glorieuse de notre histoire "
(discours prononcé au Congrès des généraux SS à Posen, le 4 octobre1943)

" Je voudrais aussi vous parler très franchement d’an sujet extrêmement important. Entre nous, nous allons l’aborder ouvertement et, cependant, en public nous ne devrons jamais en parler..

Je voudrais parler do l’évacuation tes Juifs, de l’extermination du peuple juif. Voilà une chose dont il est facile de parler. " Le peuple juif sera exterminé, dit chaque membre du parti, c’est clair, c’est dans notre programme élimination des Juifs, extermination; nous ferons cela . Et puis, ils viennent, 80 millions de braves Allemands, et chacun a son " bon " Juif. Evidemment, les autres, ce sont des cochons, mais celui-là, c’est un Juif de première qualité. Pas un de ceux qui parlent ainsi n’a vu les cadavres, pas un n’était sur place. La plupart d’entre vous savent ce que c’est que de voir un monceau de 100 cadavres ou de 500 ou de 1 000. Avoir passé par là, et en nième temps, sous réserve des exceptions dues à le faiblesse humaine, être resté un homme correct, voilé qui nous a endurcis...

" Ceci est une page glorieuse de notre histoire qui n’a jamais été écrite et qui ne le sera jamais

- Le système concentrationnaire et l’extermination dès Juifs
(discours prononcé devant les Reichsleiter et Gauleiter à Posen, le 6 octobre1943)

" Les camps de concentration, cette institution si souvent condamnée en temps de paix par les milieux extérieurs au Parti, jouent un rôle très important. Nous, vieux nazis, comprenons bien, je crois, que si ces 50 à 60 000 criminels politiques et de droit commun étaient dehors et non dans les camps de concentration, les choses seraient bien difficiles pour nous, camarades. Mais comme cela, ils sont réunis dans les camps de concentration avec 150 000 autres gens parmi lesquels un petit nombre de Juifs et un grand nombre de Polonais, de Russes et autre racaille, et ils produisent actuellement environ 15 000 000 d’heures de travail pour le camarade de parti Speer qui a de si grandes tâches à accomplir. Là encore, nous pourrons après la guerre indiquer dans nos comptes rendus tout le travail que nous avons pu et dû accomplir (...).

A ce sujet et dans ce cercle extrêmement réduit, je me permettrai d’aborder une question qui vous semble peut-être aller de soi, camarades, mais qui a été la question la plus difficile à résoudre de toute ma vie: la question juive. Qu’il n’y ait plus de Juifs dans votre province est pour vous une chose satisfaisante et évidente. Tous les Allemands - sauf quelques rares exceptions - ont bien compris que nous n’aurions pas supporté et que nous ne supporterions pas les bombardements ni les difficultés de quatre, peut-être cinq ou six années de guerre si cette peste qui décompose tout se trouvait encore dans le corps de notre peuple. La phrase " les Juifs doivent être exterminés " comporte peu de mots, elle est vite dite, messieurs. Mais ce qu’elle nécessite de la part de celui qui la met en pratique, c’est ce qu’il y a de plus dur et de plus difficile au monde. Naturellement ce sont des Juifs, ce ne sont que des Juifs, c est évident; mais pensez au nombre de gens - même des camarades de Parti - qui ont adressé à n’importe quel service ou à moi-même cette fameuse requête disant que bien sûr tous les Juifs sont des porcs, sauf Untel ou Untel qui sont des Juifs convenables auxquels on ne doit rien faire. J’ose affirmer qu’à en juger par le nombre de ces requêtes et le nombre de ces opinions en Allemagne, il y a ni plus de Juifs convenables qu’il n’en existait nominalement. Nous avons en Allemagne tant de millions d’individus qui ont chacun leur fameux Juif convenable, que ce nombre est plus important que le nombre des Juifs. Je mentionne cela simplement parce que vous avez pu remarquer dans vos provinces que des nationaux-socialistes respectables et convenables connaissent tous un Juif convenable lui aussi.

Je vous demande avec insistance d’écouter simplement ce que je dis ici en petit comité et de ne jamais en parler La question suivante nous a été posée: " Que fait-on des femmes et des enfants? " - Je me suis décidé et j’ai là aussi trouvé une solution évidente. Je ne me sentais en effet pas le droit d’exterminer les hommes - dites, si vous voulez, de les tuer ou de les faire tuer - et de laisser grandir les enfants qui se vengeraient sur nos enfants et nos descendants. il a fallu prendre la grave décision de faire disparaître ce peuple de la terre. Ce fut pour l’organisation qui dut accomplir cette tâche la chose la plus dure qu’elle ait connue. Je crois pouvoir dire que cela a été accompli sans que nos hommes ni nos officiers en aient souffert dans leur coeur ou dans leur âme. Ce danger était pourtant réeL La voie située entre les deux possibilités: devenir trop dur, devenir sans coeur et ne plus respecter la vie humaine, ou bien devenir trop mou et perdre la tête jus qu’à en avoir des crises de nerfs - la voie entre Charybde et Scylla est désespérément étroite (..).

La question des Juifs sera réglée d’ici à la fin de l’année dans les pays occupés par nous. Il ne subsistera plus que des restes de population juive qui auront trouvé abri quelque part. La question des Juifs mariés à des non-Juifs et celle des demi-Juifs va être étudiée avec raison et bon sens : nous allons prendre une décision et l’appliquer.

J’ai eu de grosses difficultés avec beaucoup d’institutions économiques, vous pouvez me croire. J’ai nettoyé de grands ghettos juifs dans les territoires de l’arrière. Dans un ghetto de Varsovie, nous avons eu des combats de rue pendant un mois. Un mois! Nous y avons démoli environ 700 bunkers. Ce ghetto fabriquait des manteaux de fourrure, des vêtements, etc. Avant quand on voulait y entrer, on vous disait:" Halte! Vous entravez l’économie de guerre! Halte ! Fabrique d’armement! " - Cela n’a évidemment rien à voir avec notre camarade de parti Speer, vous n’y pouvez rien. C’est une partie des prétendues fabriques d’armement que le camarade Speer et moi-même avons l’intention d’épurer dans les semaines et les mois à venir. Nous le ferons sans aucune sentimentalité, car dans cette cinquième année de guerre, toute chose doit être accomplie sans aucune sentimentalité mais avec un grand enthousiasme pour l’Allemagne.

J’en ai fini avec la question juive. Vous êtes maintenant au courant, et vous garderez tout cela pour vous. Bien plus tard, on pourra peut-être se poser la question de savoir s’il faut en dire plus au peuple allemand. Je crois qu’il a mieux valu que nous - nous tous - prenions cela sur nos épaules pour notre peuple, que nous prenions la responsabilité (la responsabilité d’un acte et non d’une idée) et que nous emportions notre secret avec nous dans la tombe".

4. - Le rapport Gerstein

L’histoire et la personnalité de Kurt Gerstein ont été longtemps et restent controversées. Ce chrétien proche de l’église confessante a été arrêté par les nazis en 1938. Libéré, il a décidé d’entrer chez les SS pour lutter contre eux de l’intérieur, après qu’une de ses parentes ait été assassinée à Hadamar dans le cadre de la liquidation des incurables. Ingénieur-chimiste, il a assisté aux premières expériences de gazages et a tenté d’alerter la Nonciature et la diplomatie suédoise, mais il a été éconduit. Fait prisonnier par les Français en 1945, il a été transféré à la prison du Cherche-Midi où il s’est suicidé après avoir rédigé son célèbre rapport. Nous savons maintenant que ce texte, rédigé par un homme solitaire et désespéré contient quelques erreurs de détail (sur le nombre et la dimension des pièces où se sont déroutées les gazages qu’il a observés). Mais ses principales déclarations ont été confirmées et recoupées pour l’essentiel par plusieurs témoins de son aventure, notamment par la diplomatie suédoise (sur Gerstein, voir les travaux déjà cités de L Poliakov, G. Wellers et S. Friedlander, Kurt Geistein ou l’ambiguïté du bien, 1967).

" ...En janvier 1942, je fus nommé chef des services techniques de désinfection de la Waffen-SS, comprenant aussi une section de gaz sévèrement toxiques.

En cette qualité je reçus, le 8juin 1942, la visite du SS-Sturmtûhrer Gûnther du RSHA, habillé en civil Il m’était inconnu. Il me donna l’ordre de lui procurer immédiatement, pour une mission ultra-secrète, 100 kilos d’acide prussique et de les amener en un lieu qui n’était connu que du chauffeur du camion.

Quelques semaines plus tard, nous partîmes pour Prague. Je pouvais m’imaginer à peu près à quoi l’acide prussique devait servir, et de quel genre était cet ordre, mais j’acceptai, car le hasard me donnait l’occasion, attendue depuis longtemps, de pénétrer au fond de toutes ces choses. Je possédais d’ailleurs, en tant qu’expert pour l’acide prussique, une telle autorité et compétence qu’il m’était facile de déclarer, sous un prétexte quelconque, que l’acide prussique était inutilisable.

Nous partîmes ensuite avec le camion à Lublin (Pologne). Le SS-Gruppenführer Globocnick nous y attendait. A l’usine de Collin, j’ai laissé entendre exprès que l’acide était destiné à tuer des êtres humains. L’après-midi un homme montra beaucoup d’intérêt pour notre camion. Il se sauva à toute vitesse lorsqu’il se sentit observé. Globocnick nous dit: " C’est une des affaires les plus secrètes qui soient et c’est même la plus secrète. Celui qui en parlera sera fusillé aussitôt. Hier encore, deux bavards ont été fusillés". .. Il nous expliqua alors:

" Actuellement - c’était le 17 août1942 - il existe trois installations:
1. Belzec, sur la route Lublin-Lvov. Maximum par jour 15 000 personnes.
 2. Sobibor (je ne sais exactement où) 20 000 personnes par jour.
 3. Treblinka, à 120 kilomètres N.-N.E. de Varsovie.
 4. Maïdanek, près de Lublin (en préparation).

Globocnick dit: " il vous faudra faire la désinfection de très grandes quantités de vêtements provenant de Juifs, Polonais, Tchèques, etc. Votre autre devoir sera d’améliorer le service de nos chambres à gaz, fonctionnant par échappement d’un moteur diesel. Il faut un gaz plus toxique et fonctionnant plus vite, tel que l’acide prussique. Le Führer et Himmler - Ils étaient ici avant-hier, le 15 août - m’ont prescrit d’accompagner moi-même tous ceux qui doivent voir l’installation ". Le professeur Pfannenstiel lui demanda: Mais que dit le Führer ? " Globocnick répondit: Le Führer ordonne d’accélérer toute l’action ". Le docteur Herbert Lindner, qui était avec nous hier, m’a demandé: " Mais ne serait-il plus prudent de brûler les corps au lieu de les enterrer ? Une autre génération jugerait peut-être ces choses d’une autre manière ". Je répliquai: " Messieurs, si jamais, après nous, il y avait une génération si lâche, si molle qu'elle ne comprendrait pas notre oeuvre si bonne et si nécessaire, alors, messieurs, tout le national-socialisme aura été pour rien. Au contraire, il faudrait enterrer des tables de bronze, mentionnant que ce fut nous, nous qui eûmes le courage de réaliser cette oeuvre gigantesque! "Le Führer dit alors: " Oui, mon brave Globocnick, vous avez raison ".

Le lendemain, nous partions pour Belzec. Globocnick me présenta à SS... qui me fit voir les installations. Ce jour on ne vit pas de morts, mais une odeur pestilentielle recouvrait toute la région. A côté de la gare, il y avait une grande baraque " vestiaire ", avec un guichet " valeurs ". Plus loin, une salle avec une centaine de chaises, " coiffeur ". Ensuite, un couloir de 150 mètres en plein vent, barbelés de deux côtés, et affiches: " aux bains et aux inhalations ". Devant nous, une maison genre établissement de bains; À droite et à gauche, grands pots de béton avec des géraniums ou d’autres fleurs. Au toit, l’étoile de David. Sur le bâtiment, l’inscription " Fondation Heckenholt "

Le lendemain matin, peu avant sept heures, on m’annonce: " Dans dix minutes, le premier train arrivera! " En effet, quelques minutes plus tard, un train arrivait de Lemberg: 45 wagons, contenant plus de 6 000 personnes, 200 Ukrainiens affectés à ce service arrachèrent les portières et, avec des cravaches de cuir ils chassèrent /es Juifs de l’intérieur des voitures. Un haut-parleur donna les instructions: enlever tous les vêtements, même les prothèses et les lunettes. Remettre toutes valeurs et tout argent au guichet " valeurs ". Les femmes et les jeunes filles, se faire couper les cheveux dans la baraque du " coiffeur " (un Unterführer-SS de service me dit:

" C’est pour faire quelque chose de spécial pour les équipages de sous-marins ".).

" Ensuite, la marche commença. A droite et à gauche les barbelés, derrière, deux douzaines d’Ukrainiens, le fusil à la main. Ils s’approchent. Moi-même et Wirth, nous nous trouvons devant les chambres de la mort. Totalement nus, les hommes, les femmes, les bébés, les mutilés, ils passent. Au coin, un grand SS, à haute voix pastorale, dit aux malheureux: " Il ne vous arrivera rien de pénible! Il faut seulement respirer très fort, cela tonifie les poumons, c’est un moyen de prévenir les maladies contagieuses, c’est une bonne désinfection! " Ils lui demandaient quel allait être leur sort. Il leur dit: " Les hommes devront travailler, construire des maisons et des rues. Les femmes n’y seront pas contraintes; elles s’occuperont du ménage et de la cuisine".

" C’était pour certains de ces pauvres gens, un dernier petit espoir, assez pour les faire marcher sans résistance vers les chambres de la mort. La majorité sait tout, l’odeur l’indique! Ils montent un petit escalier en bois et entrent dans les chambres de la mort, la plupart sans mot dire, poussés par les autres qui sont derrière eux. Une Juive de quarante ans environ. les yeux comme des flambeaux, maudit les meurtriers; recevant quelques coups de cravache de la part du capitaine Wirth lui-même, elle disparaît dans la chambre à gaz. Beaucoup font leur prière, d’autres demandent:

" Qui est-ce qui nous donnera de l’eau pour la mort? " (Rite israélite). Dans les chambres, des SS pressent les hommes: - " Bien remplir ", a ordonné Wirth, 700-800 sur 93 m2! Les portes se ferment. A ce moment, je comprends la raison de l’inscription " Heckenholt " Heckenholt, c’est le chauffeur de la diesel, dont les gaz d’échappement sont destinés à tuer les malheureux. SS-Unterscharführer Heckenholt s’efforce de mettre en marche le moteur. Mais il ne marche pas! Le capitaine Wirth arrive, On le voit, il a peur, car j’assiste au désastre. Oui, je vois tout et j’attends. Mon chronomètre " stop " a fixé le tout, 50 minutes, 70 minutes, le diesel ne marche pas! Les hommes attendent dans les chambres à gaz. En vain. On les entend pleurer " comme à la synagogue ", dit le professeur Pfannenstiel, l’oeil fixé à une fenêtre agencée dans la porte de bois. Le capitaine Wirth, furieux, envoie quelques coups de cravache à l’Ukrainien qui est l’aide de Heckenholt. Après 2 heures 49 minutes - la montre a tout enregistré - le diesel se met en marche; 25 minutes passent. Beaucoup sont déjà morts, c’est ce qu’on voit par la petite fenêtre, car une lampe électrique éclaire par moments l’intérieur de la chambre. Après 32 minutes enfin, tous sont morts! De l’autre côté, des travailleurs juifs ouvrent les portes en bois. On leur a promis - pour leur service terrible - la vie sauve, ainsi qu’un petit pourcentage des valeurs et de l’argent trouvés. Comme des colonnes de basalte, les hommes sont encore debout, n’ayant pas la moindre place pour tomber ou pour s’incliner. Même dans la mort, on reconnaît encore les familles, se serrant les mains. On a peine à les séparer, en vidant les chambres pour le prochain chargement .On jette les corps bleus, humides de sueur et d’urine, les jambes pleines de crotte et de sang périodique. Deux douzaines de travailleurs s’occupent de contrôler les bouches, qu’ils ouvrent au moyen de crochets de fer e Or à gauche, pas d’or à droite! " D’autres contrôlent anus et organes génitaux en cherchant monnaie, diamants, or, etc. Des dentistes arrachent au moyen de martels les dents d’or, ponts, couronnes. Au milieu d’eux le capitaine Wirth. Il est dans son élément, et me montrant une grande botte de conserves, remplie de dents, il me dit: "Voyez vous-même le poids de l’or! C’est seulement d’hier et d’avant-hier! Vous ne vous imaginez pas ce que nous trouvons chaque jour, des dollars, des diamants, de l’or! Vous verrez vous-même! Il me guida chez un bijoutier qui avait la responsabilité de toutes ces valeurs. On me fit voir encore un des chefs du grand magasin berlinois " Kauthaus des Westens " et un petit homme auquel on faisait jouer du violon, les chefs des commandos de travailleurs juifs. " C’est un capitaine de l’armée impériale autrichienne, chevalier de la Croix de fer allemande! " me dit Wirth.

" Ensuite les corps furent jetés dans de grands fossés de 100x20x12 mètres environ, situés auprès des chambres à gaz. Après quelques jours, les corps se gonflaient et le tout s’élevait de 2 à 3 mètres, à cause des gaz qui se formaient dans les cadavres. Après quelques jours, le gonflement fini, les corps se tassaient. Par la suite, m’a-t-on dit, sur des rails de chemin de fer, on a brûlé les cadavres à l’aide d’huile diesel, afin de les faire disparaître ".
 

5.- Le témoignage de Hoess

Commandant du camp d’Auschwitz de mai 1940 à novembre 1943, Rudolph Hoess a été arrêté en zone britannique, puis transféré à Nuremberg, puis de nouveau transféré à Varsovie où il a été jugé et condamné à être pendu sur le lieu de ses crimes en avril 1947. Plusieurs fois interrogé par les Anglais, puis à Nuremberg, puis en Pologne, il a rédigé avant de mourir une effarante autobiographie où il avoue ses crimes comme dans ses précédents interrogatoires, sans renier pour autant ses convictions nazies
(R. Hoess, Le Commandant d’Auschwitz parle, Julliard 1959, réédité en 1979 chez Maspéro).

Ses aveux sont d’autant plus intéressants que c’est lui qui a expérimenté le Zyklon B et fait construire les quatre grands blocs crématoires-chambres à gaz d’Auschwitz II-Birkenau. Son récit a naturellement été suspecté d’avoir été écrit sous la torture. Il comporte quelques erreurs et contradictions (notamment sur le nombre des victimes). Mais il est conforme aux témoignages des survivants (Vrba, Wetzler, Nyisli) et de plusieurs de ses subordonnés (Péry Grand et huit anciens SS interrogés lors des procès d’Auschwitz, notamment celui de Francfort en 1963-1965).

Le règlement définitif de la question juive signifiait l’extermination totale de tous les Juifs d’Europe. En juin 1941, je reçus l’ordre d’organiser l'extermination à Auschwitz. A cette époque le Gouvernement Fédéral de Pologne comptait déjà trois autres camps d’extermination: Belzec, Treblinka et Wolzek...

Je me rendis À Treblinka pour voir comment s’effectuaient les opérations d’extermination. Le commandent du camp de Treblinka me dit qu’il avait fait disparaître 80 000 détenus en six mois il s’occupait plus particulièrement des Juifs du ghetto de Varsovie.

Il utilisait l’oxyde de carbone. Cependant, ses méthodes ne me parurent pas très efficaces. Aussi, quand j'installai le bâtiment d’extermination d’Auschwitz, mon choix se porte sur le Zyklon B, acide prussique cristallisé, que nous laissions tomber dans la chambre de mon par une petite ouverture. Selon les conditions atmosphériques, il fallait compter de trois à quinze minutes pour que le gaz fit son effet.

Nous savions que les gens étaient morts lorsqu’ils cessaient de crier. Ensuite nous attendions environ une demi-heure avant d'ouvrir les porte et d’enlever les corps. Une fois les corps sortis, nos commandos spéciaux leur retiraient bagues et alliances ainsi que l’or des dents.

Nous apportâmes également une autre amélioration par rapport à Treblinka en construisant des chambres à gaz pou vent contenir 2 000 personnes à la fois, alors qu’à Treblinka leurs dix chambres à gaz n’en contenaient chacune que 200.

A Auschwitz, nous avions deux médecins SS qui étaient chargés d’examiner chaque nouvel arrivage de prisonniers. On les taisait défiler devant l’un des docteurs, qui prenait une décision au fur et à mesure qu’ils passaient devant lui. Ceux qui étaient jugés bons pour ce travail étaient envoyés à l’intérieur du camp. Les autres étaient aussitôt dirigés sur les installations d’extermination. Les enfants en bas âge étaient invariablement exterminés, puisque, en raison de leur jeunesse, ils étaient inaptes au travail.

Nous apportâmes encore une autre amélioration par rapport à Treblinka: les victimes savaient presque toujours qu’elles allaient être exterminées, à Auschwitz nous nous efforçâmes de leur taire croire qu’elles allaient subir un épouillage. Bien entendu, elles ont fréquemment deviné nos intentions et nous avons connu des incidents et des difficultés Très souvent, les femmes dissimulaient leurs enfants sous leurs vêtements, mais, dès que nous les découvrions, nous envoyions ces enfants dans les chambres à gaz.

On nous avait ordonné de procéder à ces exterminations dans le secret, mais, inévitablement, l’odeur nauséabonde provenant des corps que l'on brûlait d’une manière continue envahissait les alentours, et tous les habitants des communes avoisinantes savaient que des exterminations se poursuivaient à Auschwitz.

6. - Les enfants de Drancy: témoignage de Georges Wellers

G. Wellers est né en Russie en 1905. Il était chef de laboratoire à la Faculté de Médecine de Paris quand il a été arrêté par la Gestapo en décembre 1941. Interné à Drancy de juin 1942 à juin 1944, il s’est occupé des enfants arrêtés dans la grande rafle du Vel’dHiv. le 16 juillet 1942. Ces enfants ont été déportés à Auschwitz et gazés dès leur arrivée avec leurs infirmières vers la fin du mois d’août 1942. Déporté à son tour à Auschwitz, puis à Buchenwald, G. Wellers a été libéré par les Américains en avril 1945.

Dès 1946, il a consigné ses souvenirs dans un récit sobre et précis, De Drancy à Auschwitz. Il a publié depuis de nombreuses études sur la déportation et l’extermination des Juifs, qui font autorité par l’étendue de leur information et par leur rigueur scientifique.

On notera dans ce texte l’attitude des gendarmes et le rôle de la PQJ (Police des Questions Juives).

" Dans la deuxième moitié du mois d’août on amena à Drancy 4000 enfants sans parents. Ces enfants avaient été arrêtés avec leurs parents le 16 juillet Deux jours plus tard, les parents et les enfants furent envoyés de Paris au camp de Pithiviers. Là, on sépara les enfants des parents. On déporta les parents directement de Pithiviers et on envoya les enfants par groupe de 1000 mêlés à 200 grandes personnes étrangères à Drancy.

Ces enfants étaient âgés de deux à douze ans. On les déchargea des autobus au milieu de la cour comme de petites bestioles. Les autobus arrivaient avec des agents sur les plates-formes, les barbelés étaient gardés par un détachement de gendarmes. La majorité des gendarmes ne cachaient pas leur sincère émotion devant le spectacle ni le dégoût pour le travail qu’on leur faisait taire.

Les tout-petits ne connaissaient souvent pas leur nom, alors on interrogeait les camarades, qui donnaient quelques renseignements. Les noms et prénoms ainsi établis étaient inscrits sur un petit médaillon de bois, qu’on accrochait au cou de l’entant . Parfois, quelques heures après, on voyait un petit garçon portant un médaillon avec le prénom de Jacqueline ou de Monique. Les enfants jouaient avec les médaillons et les échangeaient entre eux.

Chaque nuit, de l’autre côté du camp, on entendait sans interruption les pleurs des enfants désespérés et, de temps en temps, les appels et les cris aigus des enfants qui ne se possédaient plus.

Ils ne restèrent pas longtemps à Drancy. Deux ou trois jours après leur arrivée, la moitié des enfants quittaient le camp, en déportation, mélangés à 500 grandes personnes étrangères. Deux jours plus tard, c’était le tour de la seconde moitié. La veille de la déportation les enfants passèrent par la fouille, comme tout le monde. Les garçons et fillettes de deux ou trois ans entraient avec leur petit paquet dans la baraque de la fouille où les inspecteurs de la PQJ fouillaient soigneusement les bagages et les faisaient ressortir avec leurs objets défaits. On installa près de la porte de sortie une table où, toute la journée, des hommes volontaires refaisaient tant bien que mal les paquets des enfants. Les petites broches, les boucles d’oreilles et les petits bracelets des fillettes étaient confisqués par les PQJ. Un jour, une fillette de dix ans sortit de la baraque avec une oreille sanglante parce que le fouilleur lui avait arraché la boucle d’oreille, que, dans sa terreur, elle n’arrivait pas à enlever assez rapidement.

Le jour de la déportation, les enfants étaient réveillés à cinq heures du matin, et on les habillait dans la demi-obscurité. Il faisait souvent frais à cinq heures du matin, mais presque tous les enfants descendaient dans la cour très légèrement vêtus. Réveillés brusquement dans la nuit morts de sommeil, les petits commençaient à pleurer et, petit à petit, les autres les imitaient. Ils ne voulaient pas descendre dans la cour, se débattaient, ne se laissaient pas habiller. Il arrivait parfois que toute une chambrée de 100 enfants, comme pris de panique et d’affolement invincibles, n’écoutaient plus les paroles d’apaisement des grandes personnes, incapables de les faire descendre: alors on appelait les gendarmes qui descendaient sur leurs bras les enfants hurlant de terreur

Dans la cour. ils attendaient leur tour d’être appelés, souvent en répondant mal à l’appel de leur nom; les aînés tenaient à la main les petits et ne les lâchaient pas. Dans chaque convoi, il y avait un certain nombre d'enfants qu’on ajoutait pour terminer: c’étaient ceux dont les noms étaient inconnus. Ces derniers étaient marqués sur la liste par des points d’interrogation. Cela n’avait pas beaucoup d’importance: il est douteux que la moitié des malheureux bambins ait pu supporter le voyage, et les survivants étaient sans doute détruits dés leur arrivée.

Ainsi il a été déporté de Drancy en deux semaines 4 000 enfants sans parents. Cela se passait dans la seconde moitié du mois d’août 1942".

François Delpech , Historiens et géographes, no 273, Mai-juin 1979.
revue de l’Association des Professeurs d’Histoire et de Géographie de l’Enseignement Public (APHG)
issn 00 46 75 x
numérisé pour le site du Cercle d’étude de la déportation et de la Shoah
par D Letouzey le 14/06/2000