Amicale d'Auschwitz
Association des professeurs d'histoire et de géographie (APHG)
CERCLE d'ETUDE de la DEPORTATION et de la SHOAH Historiens et Géographes, no 273, mai - juin
1979
LA PERSECUTION NAZIE ET L’ATTITUDE DE VICHY par François Delpech,
7.-L’enseignement des crimes
nazis
Une cinquantaine de professeurs de toutes disciplines et de tous les ordres d’enseignement viennent de se réunir à Orléans, pour réfléchir aux problèmes posés par l’enseignement des crimes nazis. Parmi les personnalités présentes, il y avait notamment des spécialistes réputés comme Mme O. Wormser-Migot, L. Poliakov et G. Wellers, deux Inspecteurs Généraux MM. Français et Aubert, plusieurs Inspecteurs pédagogiques régionaux et des représentants de l’Association des professeurs d'Histoire et de Géographie. Après avoir entendu quelques exposés introductifs portant essentiellement sur des expériences concrètes réalisées en France et à l’étranger, les participants se sont réunis en commissions, pour étudier les objectifs, les méthodes, les précautions à observer et la formation des maîtres. Ils sont rapidement tombés d'accord sur la nécessité de faire une plus large place dans tout notre enseignement non seulement aux crimes nazis, mais à toutes les atteintes aux Droits de l’Homme et à l’étude des minorités, dont beaucoup sont encore aujourd’hui menacées par les régimes totalitaires. A l’issue du Colloque, il a été décidé à l’unanimité de constituer une association ouverte à tous les enseignants intéressés et de lancer un appel pressant aux autorités et à tous les collègues concernés. D’autres Colloques sont envisagés. Cette initiative mérite l’attention. Je souhaite pour ma part qu’elle se développe. Vos critiques et surtout vos suggestions seront les bienvenues. "PROPOSITIONS DU COLLOQUE DORLÉANS" Préambule Les participants du Colloque sur " L’enseignement de l’histoire des crimes nazis ", réunis à Orléans les 29 et 30 avril 1979, constatent que, malgré les efforts très réels d' un certain nombre d’enseignants, la place faite à l’étude des crimes commis par les nazis, par leurs complices et par les divers régimes totalitaires reste très insuffisante dans l’enseignement français à tous les niveaux. Ils estiment qu’en notre époque de généralisation de la violence et de résurgence du racisme, de l’antisémitisme et du néo-nazisme, une réaction s’impose d’urgence pour mieux informer la Jeunesse française de l’abomination sans précédent qu’a été la persécution nazie, de la gravité des atteintes persistantes aux droits de l’homme un peu partout dans le monde et pour l’aider à prendre conscience des responsabilités qui incombent à chaque citoyen dans la défense des libertés et de la démocratie. Ils invitent le gouvernement, les responsables des divers ordres d’enseignement, tous les enseignants, les parents d’élèves et tous les hommes de bonne volonté à agir dans ce sens et leur proposent les orientations suivantes: Objectifs 1 Les programmes scolaires doivent être aménagés de manière à permettre aux maîtres de donner à tous les niveaux une information aussi complète que possible, compte tenu de l’âge et de la sensibilité des élèves. 2 Cette information doit éclairer tous les aspects des crimes commis par les nazis, par leurs complices et par les divers régimes totalitaires, leurs causes et leurs conséquences. Elle doit envisager tous les racismes, leurs causes et leurs caractères spécifiques. Elle doit notamment mettre l’accent sur l’ancienneté, la complexité et la profondeur de l’antisémitisme et sur l’horreur absolue qu’a été l’extermination du peuple juif et des " sous-hommes 3 Dénoncer les racismes et l’antisémitisme ne suffit pas. Cet enseignement doit être étayé par une réflexion et une Instruction civiques plus larges incitant au respect des personnes et des communautés. il faut, en particulier, faire découvrir l’histoire, la vie et la culture des victimes des persécutions et des minorités, dont beaucoup sont actuellement menacées par des régimes totalitaires, dans une perspective pluraliste, car la reconnaissance de l’autre est la seule démarche qui permette de dissiper réellement les préjugés. Méthodes 4 Les maîtres doivent constamment garder à l’esprit que le but de cet enseignement civique n’est pas d’accumuler des connaissances, ni d’imposer une doctrine, mais d’inciter les élèves à la réflexion et au respect de l’autre, ce qui implique une pédagogie active et un pluralisme vécu. 5 Toutes les disciplines peuvent et doivent participer et collaborer à cet enseignement, car tous les aspects de la vie et de la culture sont également menacés par les régimes totalitaires. 6 Pour éviter la résurgence de crimes comparables à ceux des nazis, il convient de développer dès le début de la scolarité l’enseignement des droits de l’homme et de la démocratie, le premier de ces droits devant être le respect absolu de chaque être humain. On s’appuiera sur la connaissance historique du développement de ces droits et sur l’expérience acquise par la pratique des élèves à l’intérieur des établissements scolaires. 7 Toute présentation de tes thèmes. en particulier en classe de Troisième et en Terminale, doit faire appel b la fois à la sensibilité, à l’intelligence et à la conscience des valeurs morales. On utilisera de préférence des documents originaux et du matériel audio-visuel qui devront être revus et augmentés, afin que les élèves puissent y trouver des documents et les explications nécessaires. 8 Pour enseigner l’histoire des crimes nazis, Il est nécessaire de prendre en considération le développement psychologique de l’enfant et de l’adolescent et d’éviter, d’une part, le risque d’intellectualisme pur et, d’autre part, celui de blocage affectif. Il est souhaitable de ne pas présenter à de très jeunes enfants (jusqu’à la 4eme incluse) des documents audio-visuels trop violents. Un matériel pédagogique adapté aux différents âges doit être élaboré et distribué dans tous les établissements scolaires. Formation des maîtres 9 L’enseignement de l’horreur et l’éducation à la fraternité ne s’improvisent pas. Pour pouvoir remplir leur rôle en ces domaines difficiles, les enseignants doivent bénéficier d’une sérieuse information scientifique et pédagogique, initiale et continuée, de caractère pluridisciplinaire. 10 Il faut développer, dans toutes les disciplines concernées, la recherche scientifique et pédagogique sur le nazisme, sur les régimes totalitaires, sur les victimes des persécutions et sur les minorités actuellement menacées. Les centres de recherche spécialisés doivent recevoir les appuis et les crédits nécessaires. 11 Il faut introduire ou développer l’étude de Ces questions dans les enseignements des Universités, des Ecoles Normales et des Centres de formation des maîtres, ainsi que dans les programmes des concours de recrutement. 12 Il faut également introduire ou développer
l’étude de ces questions dans la formation continue des enseignants
de tous degrés et de toutes disciplines et leur consacrer des séminaires
de recyclage scientifique et de réflexion pédagogique. Il
paraît souhaitable de lancer dès aujourd’hui des expériences
de ce genre dans telle ou telle académie pour ouvrir la voie. Ces
expériences doivent être soutenues par les autorités
universitaires et faire appel à des volontaires et à des
spécialistes qualifiés ". Puisse cet appel être entendu...
François Delpech , Historiens et géographes,
no 273, Mai-juin 1979.
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