Amicale d'Auschwitz
Association des professeurs d'histoire et de géographie (APHG)

Fondation pour la Mémoire de la Déportation


CERCLE d'ETUDE
de la DEPORTATION et de la SHOAH

12 DECEMBRE 1998


LE TEMOIGNAGE :
LE POINT DE VUE DU TEMOIN : JEAN GAVARD

ancien de Mauthausen, Président du concours national de la Résistance et de la déportation.


Présentation résumée

Ancien membre du réseau Castille à Bordeaux jusqu’en juin 1942, date de son arrestation par l’Abwehr, Jean Gavard passera 9 mois à la prison de Fresnes avant d’être déporté en mars 1943 au camp de Mauthausen et passera toute sa détention au Kommando de Gusen.

Il évoque les raisons pour lesquelles il a été amené à témoigner tardivement. Il était centré, après le retour à la reconstruction d’une vie normale pendant quelque vingt ans. Néanmoins, il a gardé constamment un lien très fort avec l’Amicale Française de Mauthausen, mais n’intervenait pas pour parler de son vécu.

Ce qui a provoqué chez lui une réaction active, se situe en 1975 et 1980, lorsque des amis de l’Amicale de Mauthausen de Vienne (Autriche) ont envoyé un document photographique publié en Allemagne par des négateurs de l’histoire, affirmant que c’était un photomontage.

A partir de recherches faites par l’Amicale Française de Mauthausen, il a été constaté la présence sur une photo de deux de nos camarades encore vivants. Leur témoignage incontestable affirmait qu’il s’agissait de la pendaison d’un interné autrichien - mais non un déporté qui avait tenté de s’évader du Camp.

Après des interventions en Autriche pour rétablir la vérité, l’Amicale de Mauthausen a voulu concrétiser ses actions par l’organisation de voyages de professeurs à Mauthausen qui ont débuté en 1990.

On se rend compte alors de la difficulté du témoignage et de l’impossibilité de faire l’impasse sur notre vie depuis le retour. En discutant avec des camarades, cela apparaissait comme pratiquement insurmontable. Nous sommes convaincus, que le témoignage doit se limiter à chaque vécu individuel, et au cours des voyages, le témoin doit s’exprimer à l’endroit qu’il a connu et où il a vécu et rien d’autre.
 

La clarté du témoignage et son authenticité sont une préoccupation constante dans les voyages.

Une des difficultés du témoignage, est celle de la communication. . Nous les anciens déportés, nous parlons d’un autre monde. Les nazis ont créé dans les camps un système social bien différent de celui que nous connaissons tous, c’est à dire une société relativement conviviale, et où l’on veut respecter les droits de l’homme. Cette distance crée entre les deux sociétés est difficilement surmontable dans la perception de nos messages, la société nazie ayant ses critères. Les termes que nous avons l’habitude d’employer ne recouvrent absolument pas les choses ou les mêmes concepts. La société concentrationnaire a son propre langage ; pour chaque livre écrit par un ancien concentrationnaire, il faudrait un lexique. Par exemple, quand on parle de " Revier ", la traduction allemande dira hôpital et bien non, pour le concentrationnaire c’est bien autre chose. La profonde différence du sens des mêmes mots est un obstacle à une transmission satisfaisante.

Tout à l’heure Annette Wieviorka expliquait pourquoi les déportés sont davantage écoutés aujourd’hui qu’après la Libération.

Revenant à ces différences des deux sociétés, la nazie et la nôtre, les déportés étaient porteurs de mauvaises nouvelles. Ils montraient qu’une autre société avait existé parallèlement à la notre et personne n’avait envie d’en entendre parler.

Maintenant, les nouvelles générations n’ont pas les mêmes comportements, elles n’ont pas connu la juxtaposition de deux sociétés entièrement contradictoires, incompréhensives l’une par rapport à l’autre. Les nouvelles générations sont curieuses de savoir, de connaître ce passé.
 
 

Discussion.

Addy Fuchs ( ancien déporté) :

Etant particulièrement impliqué dans les témoignages, il indique qu’il croit profondément à la complémentarité, des travaux des historiens, des professeurs et des témoins et souligne l’immense travail d’historien de Serge Klarsfeld qui, par ses recherches, rend doublement crédible notre témoignage dans les établissement d’enseignement.

Mme Klein- Lieber, Présidente des enfants cachés :

Prenant la parole au titre de sa fonction, rappelle que l’on s’est très peu penché sur le sort des enfants cachés pendant que leurs parents étaient souvent déportés et pour certains morts dans les camps.

Aujourd’hui on n’a pas parlé de ces enfants. Pourtant il semble indissociable de parler du retour des camps sans parler de ces enfants qui n’ont pas retrouvé leurs parents.

Que s’est-il passé pour eux durant la guerre, et après la guerre ?

Au nom de l’association des enfants cachés, Mme Klein- Lieber souhaite que l’on penche aussi sur le sort de ces enfants, qui ne sont plus certes, des enfants, mais qui ont subi des traumatismes qui perdurent jusqu'à ce jour.
 
 

Annette Wieviorka faisant une réponse groupée, dit à la suite de la question :

un historien peut-il sentir l’odeur de la baraque, l’odeur d’un charnier ?

La réponse est non. Il existe un savoir " déporté "qu’il n’est pas possible d’avoir si on ne l’a pas vécu. Ce n’est pas parce que l’on a visité même plusieurs fois les lieux, que l’on a acquis un certain savoir.

Addy Fuchs avait également posé la question :

Que penser de ceux qui n’ont pas témoigné à leur retour ?.

Annette Wieviorka : Ces témoignages, il faudrait d’abord les étudier. Tout à l’heure, Ida Grynspan s’interrogeait sur l’interprétation d’une de ces pièces d’archives. Cela pour signifier qu’une archive de papier n’est pas plus facile à lire qu’un témoignage vidéo et qu’il n’y a aucun document qui se donne d’une façon claire. Il faut savoir d’où les archives proviennent, et il faut tout un travail pour réussir à les faire parler, c’est la même chose pour les témoignages.

Je n’ai jamais étudié les témoignages vidéo, je les ai enregistrés avec un intérêt qui ne s’est jamais démenti. Pourtant on apprend toujours. On sait aussi que tout ce qui est de l’histoire positive est criblé d’erreurs.

Voici un exemple : je vous ai dit tout à l’heure, nous sommes allés voir et avons demandé à Adam Loss comment il avait été organisé le bureau des spoliations mobilières. Parce qu’avec Caroline Obert nous avons des réflexes d’historiens, nous avons vérifié les dates, les noms, etc. Le principe de vérification est naturellement vrai pour tous les témoignages, les éléments factuels, donnés comme précis, sont souvent erronés.

On sait aussi que dans le témoignage, Henry Bulawko et Jean Gavard l’ont dit, il y a plusieurs éléments. Il y a les éléments factuels et le récit dans lequel on les met. On ne donne pas des éléments bruts, le récit bouge et il bouge avec soi- même. Il bouge avec ce que l’on pense, ce que l’on sent, avec la signification qu’on donne aux choses. Dans le témoignage, il y a des choses qui sont étroitement mêlées et on devra les étudier un jour.

Cette étude sera particulièrement longue et le temps nécessaire à visionner est très supérieur à l’examen des documents papiers.
 

En réponse à une autre question sur le témoignage,
Annette Wieviorka rappelle qu’un certain nombre de personnes ont commencé à écrire ou à témoigner parce qu’elles ont considéré comme une insulte le négationnisme.

Pour les Juifs de France, quand Serge Klarsfeld a publié en 1978 les listes des déportés au départ de Drancy , cela a été un événement considérable.

Annette Wieviorka évoque le livre de Benjamin Wilkomirski " Fragments d’une enfance " qui raconte son histoire de jeune enfant dans les Camps, et un journaliste suisse s’aperçoit que l’auteur n’a jamais été interné. Pourtant, beaucoup de gens se reconnaissent dans ce livre. Cela pose alors la question :qu’est ce que la vérité ?est-ce que la vérité historique, c’est à dire un certain nombre de faits résument toute la vérité ? peut-il y avoir comme dans le livre de Wilmorski une sorte de vérité ? Cela pose un problème très intéressant. En tant qu’historienne, A Wieviorka n’a jamais utilisé ou cité son ouvrage.

Disons aussi, et c’est l’historienne qui parle, le camp est un univers où l’absurde existe. Ce qui signifie qu’avant de dire : il n’y avait pas, ce n’est pas possible, il faut bien s’imaginer qu’il n’y avait pas de rationalité. La rationalité dans les camps, cela paraît absurde, mais il y avait tellement de choses absurdes.

Je me souviens d’un témoignage écrit immédiatement après guerre, préfacé par Vidal Naquet La personne, une dame, parlait d’un côté de Birkenau et de l’autre de Tréblinka.

Dans sa tête elle avait construit deux mondes, un qui est celui dans lequel elle avait survécu. L’autre où il y avait le Sonderkommando et le gazage, est dans sa topographie imaginaire. C’était deux endroits différents avec deux noms différents. Pour un historien c’est très intéressant. Il ne faut pas dire c’est une erreur, il faut s’interroger sur le pourquoi.

Par exemple, d’où est venue la rumeur selon laquelle on faisait du savon à Auschwitz avec de la graisse humaine. A Nuremberg, le procureur soviétique a posé un tel savon sur la table. Comment cette rumeur a- t-elle cheminé ?

C’est intéressant pour un historien de dire : " on ne faisait pas de savon ".
 
 

Raphaël Esrail, en réponse à une question, au sujet de nos rapports avec les établissements dits sensibles, évoque une lettre récente de Ségolène Royal, qui incite les associations patriotiques à témoigner dans ces établissements. Son expérience pédagogique, en ce domaine, l’a conduit à utiliser le film, ou des vidéos-montages conjointement à son témoignage personnel.
 

On a beaucoup parlé des témoignages, il faudrait aussi parler des témoins eux mêmes. Le temps manque pour aborder ce vaste sujet complémentaire.
Néanmoins disons que le témoin parle avec sa culture, son passé, son caractère, qui influeront obligatoirement sur son témoignage.
Le témoin doit tenir compte du public auquel il s’adresse et constamment s’interroger : pourquoi je témoigne ? comment je témoigne ? permettant d’établir une relation pédagogique satisfaisante.

Le témoignage est un acte politique et par conséquent civique, ce doit être cela et rien que cela. Tout à l’heure, nous nous interrogions sur les raisons pour lesquelles les anciens déportés ont été amenés à témoigner. Personnellement, je n’ai pu supporter les mensonges des négationnistes, le témoignage fut pour moi une réponse.

Le témoin est aussi celui qui apporte une réponse charnelle à l’abstraction des mots, tels que la faim, le froid, la soif, etc. en l’abordant d’une manière humaine.

La force du témoignage est la vérité dans sa simplicité quelle qu’elle soit en refoulant obligatoirement toute mémoire reconstruite.

Les raisons de notre témoignage c’est la transmission d’une connaissance qui doit induire une réflexion pour que les jeunes deviennent capables de comprendre les évolutions de notre temps.

Hubert Tison passe la parole à Jean Gavard au sujet de la réponse faite par l’Education Nationale aux professeurs qui développent dans des établissements des thèses négationnistes.

Jean Gavard rappelle qu’ayant quitté sa fonction d’Inspecteur général, il y a plus de 10 ans, sa réponse ne peut -être que très partielle, malgré ses rapports particuliers, comme président du Jury du Concours National de la Résistance et de la Déportation, avec le doyen de l’Histoire Dominique Borne.

Je pense qu’Hubert Tison faisait allusion à Faurisson. Je sais qu’il a été envoyé dans un service de cours par correspondance. D’une manière générale, tous les enseignants qui affichent des propos négationnistes contraires à la loi sont sévèrement sanctionnés, jusqu'à la révocation. En ce domaine, le concours des parents pour alerter les autorités académiques est nécessaire.

Le travail dans des cercles d’étude pédagogiques comme celui dans lequel nous sommes aujourd’hui me paraît être un des meilleurs moyens pour lutter contre le négationnisme, les chercheurs et les historiens apportant les matériaux irréfutables qui permettent de montrer où est la vérité.

Les négationnistes n’ont aucune audience scientifique, leur démarche initiale est une option purement politique, il importe donc d’apporter la meilleure réponse à leur position mensongère.

Jacqueline Cancel s’étonne que cohabitent, à sa connaissance, dans certains lycées des professeurs qui militent en faveur des droits de l’homme et des négationnistes qui ne sont nullement sanctionnés, d’où une gène très forte.

Renforçant cette idée, Michel Fingerhut dit qu’au CNRS, il y a des négationnistes, et que depuis la loi Gayssot ils ne peuvent rien publier. Aussi ils se servent d’Internet et le développement d’Internet leur donne malheureusement une audience plus grande. Par des moteurs de recherche il faut trouver les sites et les contrer. Il existe des serveurs sur la Shoah. (Note de la rédaction :  un site remarquable sur le serveur de Michel Fingerhut : http://www.anti-rev.org)

Nicole Mullier 05/05/1999