Union
des déportés
d'Auschwitz

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CERCLE D'ETUDE 
de la DEPORTATION 
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avec le soutien de l'APHG

Voyage du souvenir du 18 mars 2001 : quelques photos-


 

LES JUIFS DANS LA ZONE D'OCCUPATION ITALIENNE, 
1940- 8 SEPTEMBRE 1943.

Conférence de Davide Rodogno au lycée Edgar Quinet, 9 mars 2005
Compte rendu par Nicole Mullier
 

Pourquoi un régime fasciste, raciste, et antisémite, allié de l'Allemagne, décide de ne pas déporter les juifs vivant dans les territoires occupés, entre 1940 et 1943 ?
 

Le mythe des Italiens braves gens

Les juifs furent-ils sauvés à cause de la tradition humaniste du peuple italien, comme l'écrivent Léon Poliakov et Jacques Sabille ? [ Les juifs sous l’occupation italienne, Paris, C.D.J.C., 1946].

Hannah Arendt mentionne aussi l'humanité d'un peuple ancien et civilisé, bono italiano, qui avait rejeté les lois antisémites du régime fasciste. C'est une idée encore courante en Allemagne, Autriche, France et Etats Unis, que les Italiens sont de braves gens, animés de principes humanitaires. 

Ce mythe, Italiani brava gente, s'est répandu en Italie après la guerre. Il est basé sur l'illusion d'une protection des juifs dans les territoires occupés. C'est vrai qu'il y a eu des actes humanitaires. Le régime fasciste, considéré comme un régime d'opérette, a été longtemps ignoré par l’historiographie italienne. Il est faux de considérer qu'il y a eu un antisémitisme fasciste inoffensif. La législation fasciste de 1938 exclut les juifs italiens et étrangers du marché du travail, veut en faire des parias, les séparer des Aryens, les pousser à quitter l'Italie. Il n'y a pas d'espace pour accueillir les juifs. Le régime veut créer une identité nationale fasciste et raciste [dans l'espace vital italien].
Le racisme était partagé par une partie de la classe politique et par les élites traditionnelles.
De hauts fonctionnaires croient à la supériorité de la "race" italienne, à l'infériorité des juifs, à la barbarie des Allemands. L'antisémitisme touche les hauts rangs de l'armée royale italienne, bourgeoise et traditionaliste. 

Les soldats, en Croatie, ne sont pas capables d'identifier les juifs selon leur apparence physique. La fascisation de l'armée italienne par rapport à la nazification de l'armée allemande a été un échec. Davide Rodogno cite Jonathan Steinberg qui affirme que ces deux armées avaient un univers moral différent. Les Italiens ne partageaient pas les méthodes nazies surtout en ce qui concerne le massacre de civils, femmes et enfants.
Après 1939, l’Italie fasciste est une puissance subordonnée au IIIème Reich.
L'Allemagne a gagné contre la France, a fait la campagne balkanique, elle contrôle économiquement et politiquement l'espace vital , " spazio vitale" italien. 
La politique italienne à l'égard des juifs est une réponse à un conflit interne avec l'Axe, une réaction à l’ingérence nazie. Le régime fasciste pensa pouvoir utiliser les juifs selon ses besoins. 

Les Juifs dans les territoires occupés

Dans tous les territoires occupés, les armées italiennes firent face à des mouvements de Résistance et durent consacrer un nombre important d’hommes à la défense contre une éventuelle invasion alliée. Aussi, les juifs ne représentent pas une grave menace. Leur extermination n'est pas une priorité. Livrer des juifs aux Allemands, aux autorités de Vichy, aux autorités croates ou grecques, aurait porté préjudice au prestige des Italiens. Garder les juifs dans des camps de concentrations italiens situés dans les territoires occupés pourrait se révéler utile en cas de négociations avec les Alliés.

A la question juive s'ajoute celle des réfugiés. Dans les territoires occupés, les juifs furent arrêtés à la frontière, expulsés, internés, livrés aux autorités locales et même aux Allemands. 
Ils posent des problèmes d'hygiène, de santé, de coûts, de police.
Les Italiens prennent la décision de fermer les frontières et d’expulser tous les réfugiés entrés clandestinement dans les territoires italiens. A la mi-1942, le gouvernement de Rome avait reçu des informations très précises à l’égard des politiques d’extermination nazie. Les Italiens avaient connaissance du sort des juifs, mais ils continuaient à les expulser. Les Italiens voulaient une politique d'italianisation forcée des territoires annexés, sans juifs. 

Des réfugiés juifs et non-juifs furent renvoyés à la frontière avec la Croatie ou en Dalmatie, où certains périrent dans le camp de Jasenovac. 
Les relations ayant changé avec la Croatie, les nazis décidèrent de déporter tous les juifs dans les camps d’extermination en Europe centrale et orientale. Les autorités croates collaborèrent à la mise en œuvre de la "solution finale". Les autorités italiennes n’auraient pas livré les juifs aux autorités croates car ils ne voulaient passer comme dépendants de Berlin ou de Zagreb.
Ils ne voulaient pas de problèmes avec les juifs pour des raisons de maintien de l'ordre.

Mais les expulsions des réfugiés juifs continuèrent en 1942 et en 1943. Les autorités italiennes n'avaient pas de scrupules et savaient qu’au-delà de la ligne de démarcation entre la zone italienne et la zone allemande, les trains conduisaient les juifs vers les camps de la mort.  En mai 1943, des juifs de Croatie furent déportés dans l’île de Rab mais ne furent pas livrés aux Allemands.

La France et la zone d'occupation italienne.

Les Italiens de la CIAT, commission italienne d'armistice, ne purent établir de modus vivendi avec le gouvernement de Vichy. Après l'occupation par les Allemands de la zone libre, le 12 novembre 1942, des réfugiés juifs arrivent dans la zone italienne et en Corse. 

Fin 1942, le gouvernement de Vichy décide des rafles, menées par la police française, contre les juifs étrangers dans la zone d'occupation ce qui est une entorse aux droits des Italiens.

Le gouvernement italien offre aux juifs sa protection diplomatique, en fait pour éviter que leurs biens ne tombent entre les mains des Français ou des Allemands.

En décembre 1942, un accord est signé entre l'Italie et l'Allemagne pour expulser les juifs et les étrangers au-delà de la ligne de démarcation italo-allemande, dans les territoires occupés par l’Allemagne. Les Italiens promirent que tous les étrangers et les juifs seraient internés dans des camps de concentration italiens, comme cela a été fait dans les territoires militairement occupés de Croatie et de Grèce.

A la fin de 1942, le camp de Sospel est ouvert, en réalité un hôtel et une caserne. Il fut fermé en mai et ses détenus furent transférés à Embrun et Modane. D'autres furent assignés à résidence à Digne, Vence, Guagno (en Corse), Saint-Martin de Vésubie, Barcelonnette, Moustier Sainte-Marie, Castellane, Enchastrayes et Château de Chavance.

Les juifs affluent dans la zone italienne, préférant y être en résidence forcée plutôt qu'en zone allemande. Les Allemands se plaignent de l'obstructionnisme italien auprès de Mussolini.

Un accord italo-allemand portant sur les juifs qui tenteraient de franchir la ligne de démarcation du Rhône, stipule qu'ils seraient tous internés en attendant d’être livrés aux autorités allemandes ou françaises. Pour les Italiens il est hors de question que les Français s'occupent de "leurs" juifs.

En vertu de la réciprocité des accords italo-allemands, tous les juifs allemands et autrichiens, internés en zone italienne, devaient être livrés. L'auraient-ils été ?

L’idée du sauvetage des juifs a renforcé le mythe des"Italiens braves gens", tandis que les véritables raisons de la non-déportation des juifs sont restées dans l’ombre. Les autorités italiennes n’avaient reçu aucun ordre de protéger les juifs, mais ils ne toléraient aucune ingérence pour des raisons de prestige.

Le 8 septembre 1943, date de l’armistice avec les Alliés, les Allemands prenaient la place des Italiens. 
Commence alors pour les juifs de la zone italienne, la déportation.

Nicole Mullier, juin 2005
DL    letouzey__clionautes.org
http://aphgcaen.free.fr/cercle.htm