Rolando Minuti
Internet et le métier d’historien
collection Ecritures électroniques (dir Nathalie Ferrand) ,
PUF 02/2002 ISBN : 2130516033
Rolando Minuti, professeur d’histoire moderne à l’Université
de Florence, s’appuie sur son expérience des réseaux
pour analyser la transition vers l’histoire de l’ère numérique,
et cécrire " les incertitudes de la mutation " en cours.
Son livre est organisé en 2 parties :
- Les outils de l’historien
Mirage de la ressource
Bibliothèques et
archives,
Problèmes du document
numérique
- La communication historique à l’heure d’Internet
Les difficultés de
la publication sur le réseau,
Nouveaux modèles
de l’écriture historique,
Communautés virtuelles
et enseignement de l’histoire
D’une réflexion très riche, retenons quelques aspects
:
-
La situation paradoxale d’Internet, qui fournit à l’historien
des outils performants (catalogues accessibles en ligne, traitement
automatisé des données, publication des travaux), mais
qui se heurte à une certaine perplexité et à beaucoup
d’inertie (peu de prise en compte par les instances universitaires, grande
hétérogénéité des données disponibles,
fréquente déception des utilisateurs)… Cette situation explique
en partie la méfiance des jeunes historiens : ils préfèrent
encore les circuits de l’édition traditionnelle.
-
Une démarche originale : pour mesurer les mutations induites par
le réseau, l’auteur a participé à la création
d’une "revue historique exclusivement électronique " (www.cromohs.unifi.it
). Rolando Minuti pense que ces revues peuvent préfigurer la transition
du papier au numérique : poursuite de la pratique de la validation
par un comité scientifique, nombre et dispersion géographique
des auteurs, réduction nécessaire des coûts, possibilité
d’interrogation des articles sous des formes multiples. Il cite en exemple
la numérisation d’articles de revues historiques et littéraires,
respectant un délai de 5 ans www.jstor.org
. Mais il regrette que son initiative n’ait pas vraiment été
imitée, ni en Europe, ni dans le monde.
-
Ce spécialiste de l’histoire culturelle du XVIIIeme s’intéresse
aussi de façon stimulante aux modifications prévisibles
de l’écriture historique : le développement de l’hypertexte
pourrait permettre une écriture collective et cumulative, et surtout
pourrait transformer radicalement la structuration des ouvrages.
-
Plusieurs pages traitent du rapport de l’historien aux sources virtuelles.
Cela rejoint les débats entre historiens et archivistes autour de
l’édition des archives. Kleio, l’historical workstation de Manfred
Thaller, " n’a pas réussi à décoller comme standard".
D’autres pistes sont explorées, comme " l’archival information locator
" aux Etas-Unis (www.nara.gov ou le
projet " Mediceo avanti il Principato " (Florence). On pourra aussi se
reporter aux contributions du dernier Forum Le Monde Le Mans (octobre
2001)
Cet ouvrage suggère à plusieurs reprises la très grande
différence qui sépare les Etats-Unis et les autres pays.
On ne peut que partager le plaidoyer de l’auteur en faveur d’une action
énergique de la communauté des historiens, pour aider
à bâtir, exploiter et conserver " une mémoire électronique
durable de l’humanité ". Cette implication forte permettrait
aux historiens d’accompagner les mutations, et de ne pas se contenter de
les subir.
Quelques nuances personnelles :
-
" Le métier d’historien " (Marc Bloch) est cité dans la bibliographie.
Mais la critique du " vacarme informatif pléthorique " n’est pas
spécifique au réseau Internet, ni à l’historien d’aujourd’hui.
Il aurait peut-être été possible de montrer, par des
exemples, comment le questionnement (les problématiques) de l’historien
lui permet de contourner cette pléthore.
-
L’ouvrage constate la " faible incidence " des listes de diffusion,
comme celles de H-Net, sur les " formes et les pratiques de l’historiographie
traditionnelle ". C’est probablement sous-estimer le rôle des carnets
d’adresses virtuelles, et la possibilité de prolonger, sur le réseau,
des échanges amorcés lors des colloques. C’est minimiser
aussi l’intérêt du courrier électronique pour humaniser
et rendre plus efficaces les recherches qui veulent utiliser les ressources
disponibles sur le web.
-
Les pages sur les rapports entre internet et l’éducation opposent
" valeur fondamentale du séminaire " et " culture point.com ". L’opposition
est réelle. Mais n’est-ce pas écarter un peu vite les contraintes
d’une éducation de masse ? N’est-ce pas prendre le risque de sous-estimer
les efforts déployés par nos collègues historiens
dans tous les pays, depuis plusieurs années, pour former l’esprit
critique de leurs étudiants, et pour leur apprendre à
l’appliquer de façon encore plus vigilante aux sources numériques
?
-
Enfin, dans une collection " Ecritures électroniques ", et
dans un texte qui s’appuie sur les pratiques d’une communauté professionnelle,
il est dommage que les pistes anticipées n’aient pas été
davantage mises en pratique : écriture cumulative à plusieurs
voix, lectures multiples, structuration des pages sous la forme d’un hypertexte…
L'ouvrage est accessible
en ligne (en italien) , avec une importante bibliographie et de très
nombreux sites internet à explorer.
http://www.unifi.it/riviste/cromohs/6_2001/rminuti.html
http://www.cromohs.unifi.it/6_2001/minuti/bibliografia.html
ateliers à Florence : http://www.storia.unifi.it/_storinforma/workshops2002.htm
voir aussi dans Memoria e Ricerca :
Rolando Minuti : Storiografia, riviste e reti: una transizione avviata?
8-2001 http://www.racine.ra.it/oriani/memoriaericerca/13.htm
Michele Santoro : Pubblicazioni cartacee e pubblicazioni digitali:
quale futuro per la comunicazione scientifica ?
http://www.racine.ra.it/oriani/memoriaericerca/15.htm
Serge Noiret : La didattica della storia su Internet n. s. 2
(1998) : http://www.racine.ra.it/oriani/memoriaericerca/3.htm
I musei della Grande Guerra sul Web n. s. 7 (2001) http://www.racine.ra.it/oriani/memoriaericerca/11.htm
CR D
Letouzey - 24/02/2002