Les grandes villes en Afrique

L’exposé est centré sur l’Afrique noire, domaine de recherche de Monique Bertrand (Université de Caen).

Il s’articule autour de 3 idées :

- L’Afrique est le continent le plus rural, et celui qui s’urbanise le plus vite.

- Le fait urbain, surtout métropolitain, apparaît très contrasté sur ce continent. Les nuances peuvent être suggérées dans les exemples à traiter. Cela permet de briser la vision univoque imposée par les médias.

- Le fait citadin est un fait humain. Les indicateurs d’une crise urbaine, de précarité, de pauvreté, de sous-équipement sont importants, mais il faut éviter de sombrer dans le misérabilisme. Les citadins ne sont pas passifs face à ces difficultés

Comment mobiliser un mode de raisonnement géographique, en jouant sur les changements d’échelle (parfois absents des manuels) ?

Pour analyser le fait urbain en Afrique, il importe de dépasser les clichés relayés par les médias, et de souligner les nuances définies par la recherche.

TAUX ET RYTHMES D’URBANISATION :

L’association de 2 types de cartes montre que le continent africain est à la fois à la traîne (le plus faible taux d’urbanisation) et à la pointe du dynamisme ( le plus fort taux d’accroissement de la population citadine).

Cette contradiction permet de souligner une spécificité : l’Afrique vit dans le temps court, l’espace d’une génération, ce que l’Europe a géré en 3 siècles. Elle vit dans un contexte de crise ce que l’Europe a connu en phase d’accumulation des bases productives. Ce serait une erreur de transposer en Afrique nos modèles d’interprétation et nos modèles d’intervention.

Croissance rapide ne signifie pas automatiquement catastrophe : plus la ville est grande, plus son dynamisme démographique fléchit, par une sorte de régulation de la redistribution de la population.

L’urbanisation n’a pas que des inconvénients, elle a aussi des avantages

A l’échelle du monde (Daniel Noin, Atlas de la population du monde, 1991) l’Afrique est à la traîne pour l’urbanisation.. 1/3 de citadins vers 1995 (moyenne mondiale 50 %). 1/10 de la pop du monde (l’Afrique reste un continent peu peuplé), 6 % des citadins du monde.

L’Afrique partage ces faibles valeurs avec l’Inde et la Chine.

En 1950, les pays en développement sont généralement des pays peu urbanisés. En 1980, la situation devient plus hétérogène : l’Amérique latine, une partie du Proche-Orient dépassent 50 %, laissant l’Afrique dans les valeurs les plus faibles.

Cette faiblesse est confirmée par le semis des grandes villes . La carte des villes millionnaires, - moins d’une vingtaine -, (François Moriconi-Ebrard, l’Urbanisation du monde depuis 1950, Anthropos 1993 ) montre un semis lâche de grandes villes, surtout en Afrique noire.

Ce semis est à mettre en relation avec la faiblesse des densités générales. 2 exceptions de fortes densités : le Nigéria, avec grandes villes, l’Afrique des lacs, sans ville millionnaire.

Autre indicateur : le palmarès des 30 plus grandes agglomérations.

2 seulement sont africaines : Le Caire (14eme position, 12 à 15 M d’habitants), Lagos (10-11 M, avec très forte incertitude statistique sur les recensements nigérians).
 

L’Afrique est à la pointe de la poussée urbaine.

La carte du taux annuel d’accroissement est le négatif de la précédente (D Noin).

Le rythme est à très grande vitesse, supérieur à 5 %, -soit un doublement en moins d’une décennie dans une ville d’1 million d’habitants - (contre moins de 2 % pour la population rurale).

De 1950 à 1995, l’urbanisation est passée de 15 % à 33 %, la population générale a triplé, mais la population urbaine a été multipliée par 9.

L’Afrique noire ne connaissait qu’une ville millionnaire en 1950 (Ibadan), elle en connaît aujourd’hui environ 18 (une trentaine avec le nord du continent).

Ce dynamisme a 2 composantes : on pense d’abord aux flux migratoires, mais ils jouent dans les 2 sens. Plus la ville est grande, moins ce solde a d’importance. Et c’est la dynamique naturelle qui joue le rôle essentiel.

Cela permet de mesurer l’ampleur de la redistribution de la population, du potentiel de production, de consommation, de besoins, de tendance aux changements. L’Afrique a une capacité à orchestrer des changements radicaux autrement que sur un mode dramatique.

Changeons d’échelle, pour repérer les nuances à l’intérieur du continent

Même contraste entre taux d’urbanisation et taux d’accroissement (carte d’Alain Dubresson) : la croissance ralentit dans les pays où les taux d’urbanisation dépassent 50 %, elle est très forte ailleurs.

à quelle échelle faut-il lire les nuances ?

A une échelle médiane, apparaissent des effets de bloc : l’Afrique " blanche ", au Nord et au Sud sont fortement urbanisées.

Une grande partie du golfe de Guinée compte de grandes métropoles littorales, fruit en partie de la colonisation
La dorsale est-africaine, une des moins urbanisées, connaît une forte croissance

A une échelle plus fine, il existe un réel émiettement état par état. Par exemple, la Zambie, un état minier (copper belt). est relativement urbanisé. Mais la Guinée, autre état minier n’a pas connu de forte urbanisation.

Ces cartes, et le changement des échelles, permettent de présenter les faits démographiques, sans les ériger en interprétation du fait urbain.

Il est difficile d’interpréter le fait urbain de façon univoque, les modèles d’explication sont aussitôt contredits par des contre-exemples. L’Afrique est en gestation de sa modernité urbaine, et il est très difficile de définir un modèle d’urbanisation et de place des grandes villes dans cette urbanisation.
 

VARIETE DES MORPHOLOGIES URBAINES

La bibliographie francophone semble trop réductrice. La diversité est mieux présentée dans les publications anglaises.

Cette diversité apparaît dans une présentation physique et sociale du tissu urbain

Production de l’habitat : points communs

Comment les citadins s’insèrent-ils dans le travail et dans le logement ?

Tout le continent est marqué par le monopole foncier des pouvoirs publics.

Les pouvoirs publics cèdent ces terrains plus qu’ils ne les vendent. En théorie, il existe un contrôle administratif fort, mais qui ne va pas jusqu'à la construction faute de capitaux publics et privés.

Faute de moyens financiers et politiques, la trame urbaine se développe dans la petite production marchande , le tâcheronnage, les artisans, quand ce ne sont pas par l’initiative des habitants eux-mêmes.

L’impact de ce secteur informel uniformise ces villes avec 2 conséquences :

Importance de l’emploi classé dans le secteur informel.

Une économie qui se développe en relation avec la crise du salariat. En moyenne, 60 % dans la petite production marchande, dans les petits métiers. L’économie dite informelle n’est pas une économie de la marge, de l’exclusion. C’est probablement un schéma de développement d’un citadinité africaine.

Donc des problèmes bien communs.

HABITAT : FORMES DE DIFFERENCIATION

Habitat : en France, on résume l’habitat à un type ouest-africain, francophone : l’habitat de cour.

C’est un prototype paysager très fort : la cour est une unité physique, mais aussi la maisonnée, l’unité sociale.

C’est un schéma évolutif : à partir d’une parcelle sont ajoutées des pièces, des vérandas, des bâtiments,. Ce système est très souple.

Ce modèle important très fort, mais pas universel, vaut en Afrique occidentale (70 % à Abidjan, 85 % du 1 M d’hab de Bamako).

Il est facteur d’atténuation des contrastes sociaux dans les villes aussi bien dans les centres denses que dans les périphéries, dans la ville légale ou dans l’urbanisation du " fait accompli ".

Facteur de brouillage des ségrégations, cet habitat porte plusieurs ménages, de " grandes familles ", des propriétaires et des locataires. Cela mélange des situations sociales contrastées, des classes moyennes paupérisées et de nouveaux immigrants, des propriétaires et des locataires en situation précaire. Il devient difficile de distinguer dans l’espace ville des riches, ville des pauvres.

En Afrique centrale, " bantoue ", ce schéma ne réapparaît pas. On trouve un bloc de maisons unité sociale et unité résidentielle ; les contrastes sociaux sont plus lisibles dans l’espace.

la répartition ethnique :
Elle est incontournable du fait de la diversité ethnique et linguistique.

Pas de schéma unique en ville.

A Brazzaville, Kinshasa, Yaoundé, la répartition ethnique par quartier est visible.

A Johannesburg, il y séparation blancs et noirs, et construction d’une représentation ethnique au sein des noirs.

Ce n’est pas le cas dans l’Afrique de l’Ouest : à Bamako, à Abidjan, à Dakar le mode de socialisation ne s’appuie pas fondamentalement sur une différenciation spatiale sur le critère ethnique.

PAUVRETE MAIS PAS PASSIVITE :

La vision misérabiliste est à effacer : les citadins cherchent des solutions à leurs problèmes dans une vie sociale active, faite de rapports de force, mais pas d’anomie ou de passivité.

Indicateurs de la crise urbaine :

le sous-équipement au quotidien ressort des photographies.
Poser les problèmes pour arriver aux tentatives de solution : transport, état des voiries, électrification

L’iconographie rend compte des tentatives de solution ; les petits métiers liés aux transports collectifs, les porteurs d’eau, le ramassage des ordures par charrette.

Montrer la pauvreté plus que la misère, mais aussi les solutions qui viennent de la population .

éléments de problèmatisation :

Ces villes qui accumulent les problèmes se pérennisent et n’explosent pas. Des formes de régulation sociale se développent. La crise est moins celle de la ville, que celle des états ; (mais Afrique du nord, les émeutes de la faim étaient spécifiquement urbaines).

Tout cela montre que les rapports sociaux se " marchandisent " de plus en plus (c’est aussi une définition du fait urbain) : c’est une voie d’engagement dans des rapports marchands.

Ce qui est peut-être à développer : l’économie dite informelle renvoie à des formes sociales et économiques qu’il faut mieux caractériser. Ce n’est pas une économie qui se cache  : c’est une économie de la demande plus que de l’offre, qui a sa logique dans la faible solvabilité des consommateurs (aux besoins incompréhensibles : se loger, manger, se déplacer), c’est une réponse à des situations de crise.

Question de géographie  : à quelle échelle spatiale cette économie œuvre-t-elle , quand on ramasse les ordures en charrette, quand on porte l’eau, ces solutions ont un impact spatial faible, et ne donnent pas une cohérence à la ville, ne font pas office de plan d’aménagement.

Ces villes africaines sont des villes fragmentées où les réponses sociales ont un impact géographique limité. Il est difficile de modéliser le fragmentaire. Ces logiques de réponse à la pauvreté ne peuvent pallier l’absence de grandes politiques globales d’aménagement.
 

POUR CONCLURE ,

1- Le dialogue recherche - enseignement devrait aider à tordre le cou aux clichés :

- la croissance est rapide, donc elle est pathologique.

- La grande ville se nourrit de l’exode rural. Ce n’est plus valable. Le solde naturel est essentiel. Les échanges entre villes comptent plus que les échanges ville - campagne.

- La métropole étouffe les autres villes. Faux.

La métropolisation se nourrit d’une diffusion d’une très forte diffusion du fait urbain à la base du territoire. La croissance des grandes villes n’explique pas à elle seule la totalité de la forte croissance.

- Les métropoles sont des villes dualistes, entre l’extrême richesse et l’extrême pauvreté. En fait, les classes " moyennes "  forment le gros de la population citadine.

Quels exemples choisir ?
Sur le plan pratique, les instructions incitent au choix de 2 exemples : éviter de limiter les exemples à l’Afrique francophone, et prendre un tandem comme Abidjan - Johannesburg, Dakar - Nairobi, Lagos - Kinshasa ou Brazzaville.

Bibliographie :

en cas de citation, prière de mentionner l'origine du texte

Monique Bertrand,
Les villes secondaires d'Afrique noire (1970 - 1997)
Centre d'étude d'Afrique noire
http://www.cean.u-bordeaux.fr/pubcean/bib8.html

Mouvement résidentiel à Bamako (Mali) : mobilité structurée, circulation fragmentée dans l’espace urbain
 http://www.bondy.ird.fr/cvd/MUR/atelier/!INTERCA.LAI/BAMAKO.html