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   APHG Caen
    H&G - Chronique Internet
Enseigner l'Histoire, la Géographie, l'ECJS
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UN SIECLE DE FÉMINISMES EN FRANCE : 
RECHERCHES ET BILAN

Conférence de Sylvie CHAPERON (10 novembre 2004, IUFM de Caen)
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3 fichiers, sur l'histoire des femmes : 
   - Un siècle de féminismes, recherches et bilan :  APHG Caen, 10/11/2004
                       La conférence de Sylvie Chaperon
                                    
      Version pdf : http://aphgcaen.free.fr/conferences/schaperon.pdf
        Bibliographie : http://aphgcaen.free.fr/blois/hfemmes.htm#biblio
         
   - Deux sélections Histoire des Femmes et du genre, 
        une courte, une développée en 2 fichiers.

   - Femmes et féminisme depuis 1945 (choix de documents)
                              Un atelier multimédia pour Blois 2004 (choix de documents)
                                  
           à compléter par  Les femmes dans l'histoire (Rendez-vous del'Histoire, Blois 2004) :       
 

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Histoire sommaire du terme féminisme :

Apparition fin XIXe siècle dans le contexte du développement de la psychiatrie aliéniste qui accorde la primauté à la théorie de la dégénérescence. Féminisme désigne donc d’abord une maladie qui touche les hommes " efféminés ", allant éventuellement jusqu’à la perversion (homosexualité).

Terme détourné par une militante " féministe " au début des années 1880 (Hubertine Auclert, fondatrice de La Citoyenne laquelle elle combat pour l’égalité des sexes dans tous les domaines). Généralisation assez rapide du terme en Europe dans les deux dernières décennies du XIXe siècle, puis aux Etats-Unis dans les années 1910. Le féminisme, à toutes ses époques, reste un mouvement très divers.

L’exposé se limite à l’exemple français.

1 - Les débuts de l’histoire des femmes
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1.1 - Un effet de seuil

Au début des années 1970, conjonction de 3 facteurs pour expliquer une rupture avec la pratique " ancienne " de l’histoire :

Naissance du MLF (1970, soit 2 ou 3 ans après le Women’s Lib aux Etats-Unis) crée une demande d’histoire des femmes
 
 

Stratégie de provocation pour choquer et médiatiser les revendications : 1er événement-choc le 26 août 1970, manifestation à l’Arc de Triomphe avec banderoles " Il Y a plus inconnu que le soldat inconnu, sa femme ". 

On note la référence à l’histoire (avant tout une histoire d’hommes faite par des hommes). Autre slogan : " Un homme sur deux est une femme " = demande sociale d’histoire des femmes, moitié " oubliée " de l’humanité.

Stratégie payante : intervention policière et quotidiens titrent sur la naissance du MLF en France.

MLF = mouvement animé par des universitaires qui souhaitent interroger le savoir qu’elles ont reçu et qui ont l’impression de démarrer de zéro une histoire des femmes.

Féminisation (parallèlement au mouvement de démocratisation) des universités : 
  .  Bachelières plus nombreuses que les bacheliers à partir de 1970
  . Étudiantes plus nombreuses que les étudiants à partir de 1975

Féminisation très modeste du personnel d’enseignement supérieur

   1965 : 3 professeurs d’histoire et 11% des maîtres de conf/maîtres-assistants

   A l’origine des premiers groupes d’études féministes dans la première moitié des années 1970 (Ces groupes reflètent les 3 facteurs : militantisme au MLF, féminisation des corps estudiantin et enseignant dans le supérieur).

Ces nouvelles données des années 1970 permettent une rupture avec l’exclusion puis la ségrégation des femmes dans l’enseignement. 
 
 

Quelques rappels chronologiques sur l’histoire de l’accès des femmes à l’enseignement :

1861 : première femme bachelière (Julie Daubié, âgée de plus de 40 ans, après long combat, enregistrée comme Jules par le secrétaire qui croit à une erreur !)

1880 : loi Camille Sée sur l’enseignement secondaire pour les filles (enseignement " au rabais ", moins long et sans baccalauréat pour le sanctionner, car les capacités intellectuelles des filles sont considérées comme inférieures et leur destin " naturel " est celui d’une mère de famille. L’enseignement est notamment conçu autour du rôle des mères dans la formation des futurs citoyens). 

1919 : lycées autorisés à préparer les filles au bac. Contexte = post-première guerre mondiale. La bourgeoisie parlementaire s’inquiète de l’avenir de ses filles qui risquent de ne pas trouver de mari, vue l’hécatombe démographique causée par la guerre, et cherche à leur assurer un métier décent.

1924 : Bac et programme du secondaire uniques

En histoire :

2 agrégations séparées jusqu’aux années 1970.
L’agrégation d’histoire réservée aux femmes est créée dans le sillage de la loi Camille Sée (sans DES, ni partition entre géographie et histoire, les lauréates cantonnées de fait à l’enseignement secondaire). En revanche, féminisation rapide de l’École des Chartes dès les années 1930 (documentation et conservation = travail plus " féminin ").

L’école des Annales dans les années 1929-1944 (de la fondation de la revue à la mort de Marc Bloch) reflète cette division des tâches. 2 femmes seulement publient dans la revue. Les femmes (secrétaires et/ou épouses) préparent le travail : c’est le cas de Suzanne Febvre (Sévrienne et Agrégée) et de Simone Bloch.
 

1.2 - Premiers groupes, premiers travaux

Organisation des groupes : absence de hiérarchie, recherche d’interdisciplinarité dans les sciences humaines, échanges entre chercheuses et militantes. De ce fait, groupes souvent mal perçus par l’institution.

1 des premiers groupes : celui fondé par Michelle Perrot à Jussieu en 1974. M. Perrot, historienne, a réalisé sa thèse sous la direction d’Ernest Labrousse qui avait refusé sa proposition de sujet initial sur l’histoire du féminisme et l’avait orienté sur les cultures de la grève. Titre significatif du premier séminaire : " Une histoire des femmes est-elle possible ? " (sources, méthodes ?)
 

Deux objets d’étude privilégiés par ces premiers groupes :

Les femmes dans le monde ouvrier (contexte d’une histoire sociale influencée par le marxisme et nécessité de répondre aux critiques de l’extrême-gauche sur le caractère " petit-bourgeois " des revendications du MLF)

L’histoire du féminisme. Facteurs : identification avec les féministes du passé et recherche des racines du MLF ; montrer que les femmes n’ont pas été passives ; surmonter le problème des sources peu abondantes pour les femmes (comme pour tout groupe dominé) en faisant appel aux documents produits par les associations féministes (revues, bulletins, listes d’adhérentes…) (autres sources : journaux intimes, développement de l’histoire orale).

L’Histoire des Femmes publiée chez Plon sous la direction de Georges Duby (à qui elle avait été initialement, et significativement, commandée) et Michelle Perrot (à laquelle Duby a fait appel) résume cette première période de l’historiographie.

Michelle Perrot elle-même conclue que ce premier mouvement historiographique a donné naissance à une histoire " en noir et blanc " où les femmes se classent entre victimes surexploitées et rebelles aux révoltes éclatantes. Mais très vite, de nouvelles recherches moins manichéennes voient le jour.
 

2 - Les recherches en histoire du féminisme
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2.1 - Une nette attirance pour les radicales

Dans un premier temps, les personnalités et les tendances les plus radicales du féminisme attirent l’attention des historiennes.

Deux exemples représentatifs des combats des féministes radicales de la fin XIXe-début XXe :
 

Madeleine Pelletier (1874-1939)
 

Issue d’un milieu modeste (mère-célibataire, vendeuse des rues). 
Études secondaires et supérieures (médecine). 
Première femme interne des Asiles d’aliénés (psychiatre). Militante d’extrême-gauche (anarchiste, puis gauche de la SFIO, puis PC dès 1920, voyage en Russie soviétique). 

Tente d’importer les stratégies violentes des suffragettes en France au début du XXe siècle. 

Prône la contraception (néo-malthusianisme) et pratique même l’avortement (Arrêtée, elle est jugée et déclarée irresponsable, puis internée en asile psychiatrique jusqu’à sa mort). 

Favorable à la " masculinisation " des femmes (rejet de la féminité comme reflet de l’exploitation masculine) : s’habille en homme et prône la chasteté pour les militantes les plus avancées (meilleure manière d’échapper à une sexualité où s’exprime la domination masculine). 
Pas de rhétorique de libération sexuelle à cette époque donc.

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Ex d’Arria Ly (pseudonyme de Joséphine Gondon 1881-1934)
amie de Madeleine Pelletier.

Se présente aux élections législatives de 1910 à Toulouse (pratique développée depuis le début du XXe siècle ; bulletins comptabilisés comme nuls) avec un programme féministe qui demande la réforme de l’adultère (double morale condamnée par les féministes : pour q’un homme soit adultère, il faut qu’il entretienne sa maîtresse au domicile conjugal), l’abolition de la réglementation légale de la prostitution (toujours double morale : maisons closes, surveillance sanitaire et hôpitaux-prisons avec internement d’office sur simple avis médical, ex de Saint Lazare à Paris) contraire aux principes républicains (prostituées " légales " et insoumises étant de fait soustraites au droit commun). Abolition obtenue en 1946 (loi Marthe Richard).

Dans un deuxième temps, des travaux plus récents ont montré que la grande majorité des féministes des débuts sont des modérées et que leurs champs d’action est très varié.

réclament le droit de vote au nom de la mission des mères (? au nom de l’égalité des sexes)

argumentation s’appuyant sur une vision traditionnelle de la femme. Objectif = convaincre et non choquer. Stratégie d’avancées à petits pas.

Ne revendiquent pas la contraception. Au contraire, souvent natalistes (période 1870-1914, face à la natalité prussienne).

Un exemple représentatif : Marguerite Durand et son quotidien féministe réformiste La Fronde (1897-1905), qui est bien introduite dans les milieux politiques de la IIIe République et a le soutien de la banque Rothschild. 

comme le journal est entièrement rédigé et composé (typographes) par des femmes, il est amené de fait à avancer certains combats : droit des femmes à assister aux séances à la Bourse, à assister à toutes les séances parlementaires, à travailler comme ouvriers typographes (combat contre interdiction du travail des femmes de nuit depuis 1892, contre des syndicats exclusifs cherchant à écarter les femmes d’un métier très qualifié).

Les " modérées " mènent donc aussi des combats importants. Frontière beaucoup plus floue qu’initialement pressentie.
 

Des associations ignorées jusqu’à récemment
   Associations de femmes catholiques
   Associations et ligues de femmes patriotiques (Ligue Patriotique des Femmes Françaises fondée au moment de l’Affaire Dreyfus).
 

2.2 -  Questions de périodisation

Dans les débuts de l’histoire du féminisme, l’intérêt s’est porté sur les périodes de flamboyance de la révolte des femmes : Révolution Française, 1848, Commune, Age d’or de la fin XIXe-début XXe

Plus récemment, la recherche historique s’oriente vers les autres périodes, dont la période 1945-1970 qu’on peut appeler le " creux de la vague " (expression de S. Chaperon) ou " l’Entre-deux-Féminismes ".
 

Deux personnalités représentatives de cette période d’étiage du féminisme :

Margaret Sanger (1879-1966). 

Active aux Etats-Unis (New York) et au RU (période d’exil pour diffusion d’information et de moyens de contraception). Néo-malthusienne, fille d’une mère de 11 enfants morte d’épuisement. Infirmière dans les milieux ouvriers de New York, ce qui contribue également à forger ses convictions. 

Change la rhétorique ancienne sur la contraception liée à la révolution et la lutte des classes (arme pour émancipation du prolétariat, donner moins de " chair à canon " et d’ouvriers à la classe dominante). Met en avant une argumentation fondée sur l’épanouissement sexuel, conjugal et familial. Mouvement du Birth Control (revue, dispensaire). 

Diffusion du Birth Control plus tardive en France (loi de 1920 interdit la contraception) : La Maternité Heureuse fondée en 1956 (ancêtre du Planning Familial).
 

Simone de Beauvoir avec Le Deuxième Sexe (1949)

Ne se disait pas féministe à l’époque ; assez caustique sur les féministes

Revendique le droit à la jouissance sexuelle, l’égalité entre les sexualités (homo/hétéro), le droit à l’avortement, à un autre destin que celui de mère au foyer (qu’elle critique). Toutes revendications reprises plus tard par le MLF, que Beauvoir soutiendra.

On note le passage de revendications publiques (premières féministes fin XIXe-début XXe) à des revendications privées (sexualité au cœur des luttes du MLF).
 

Pendant la discussion :

Une mise au point sur l’histoire des genres (Gender Studies) :

? histoire des femmes (histoire compensatoire)

= histoire du masculin et du féminin, de la construction même de la différence sexuelle (Comment les sociétés produisent la différenciation des genres à travers les institutions, les acteurs, les discours et recherche des évolutions avec notamment la question controversée de l’impact des guerres : émancipation ou renforcement de l’idéal viril et masculinisation de la société ?)
 

Quelques rappels sur le statut juridique de la femme mariée :

Fin XIXe-début XXe : pas de secret de correspondance

Capacité civile acquise en 1938 (renforcée sous Vichy à cause de l’absence des 1,5 million de prisonniers). 

Droits limités par le régime matrimonial légal (communauté) sous lequel le patrimoine et les revenus de la famille sont gérés par le mari. 

Autorité parentale substituée à l’autorité paternelle en 1970

Notes d'Anne Boucker - 15/11/2004
mise en ligne DL dletouzey__ac-caen.fr